Police

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueQuand on était petit, on se disait «je voudrais être un policier pour venger les faibles et les pauvres». On en riait. Aujourd’hui, ce désir est là pour des dizaines de milliers de Marocains. C’est dire combien cette catégorie de la fonction publique attire les jeunes.

Le 24/07/2023 à 11h01

Passant, l’autre jour, devant un immense bâtiment en construction dans les beaux quartiers de Rabat, précisément Hay Riad, on m’a dit: «C’est le nouveau siège de la Sûreté nationale. Il va regrouper toutes les directions de la sécurité.» Impressionnant, belle architecture, bref, du solide pour notre police.

J’ai souvent été fier de notre police, surtout dans son combat contre certains détraqués qui font allégeance à l’entreprise criminelle Daech et préparent des attentats pour nuire gravement à notre pays, à sa sécurité, à sa stabilité.

Il fut un temps qu’au lieu de la fierté, il y avait de la peur. Les «années de plomb» et l’arbitraire d’un ministre de l’Intérieur qui disposait d’importants pouvoirs. Ce temps-là est révolu. Aujourd’hui, je pose un regard bienveillant sur notre police.

Je viens de lire dans l’hebdomadaire TelQuel une information qui m’a fait rire.

Oui, on peut rire de la police, rire légèrement, sans la blesser ni porter atteinte à sa réputation d’efficacité et de loyauté.

J’ai ri parce qu’aux nombreux concours organisés par la DGSN dimanche dernier, il y a eu des triches, des fraudes de la part de candidats voulant rejoindre les rangs de cette profession dont la qualité première est l’intégrité et la justice.

111 cas de triches recensés!

Évidemment, les auteurs malhonnêtes de ces fraudes ont été éliminés d’office.

Reste la question que je ne cesse de me poser: comment un candidat au maintien de l’ordre et de la sécurité trahit ces valeurs pour gagner dans un concours un poste d’agent, de commissaire ou d’inspecteur?

Cela me rappelle le cas de certains magistrats qui se font acheter ou des agents de la circulation qui, au risque de laisser un fou au volant, ferment les yeux sur les violations du Code de la route, moyennant quelques billets bleus. C’est l’histoire du pompier pyromane. Il provoque un incendie pour courir l’éteindre!

Ce qui m’a aussi impressionné, c’est le nombre énorme de candidats: 94.923! Il a fallu mobiliser 626 fonctionnaires de la sécurité pour surveiller le déroulement des concours.

Je n’ai aucune idée du contenu de ces concours.

Tant de citoyens marocains veulent rejoindre la police nationale!

Quand on était petit, on se disait «je voudrais être un policier pour venger les faibles et les pauvres». On en riait. Aujourd’hui, ce désir est là pour des dizaines de milliers de Marocains. C’est dire combien cette catégorie de la fonction publique attire les jeunes.

Pourtant, avant d’être un agent de la sécurité nationale, à n’importe quel grade, ne faudrait-il pas enseigner aux candidats de la philosophie et de la poésie et surtout dépasser les deux minutes par jour que les Marocains consacrent à la lecture?

Pourquoi? C’est simple, un agent qui a quelques connaissances en philo et qui peut réciter un poème d’Al Moutannabi, de Mahmoud Darwish, de Mohamed Mejati ou des poètes comme Rimbaud ou Apollinaire, ne peut pas, à mon avis, mal se conduire dans l’exercice de sa fonction.

Traversés de culture universelle, ces hommes ou ces femmes qui veillent sur notre sécurité méritent qu’on leur livre un supplément d’information qui forme leur potentiel personnel.

On sait que nous ne sommes pas des champions du civisme. Cependant, que des agents de la police donnent l’exemple en se conduisant avec respect et loyauté contribuerait à faire entrer un peu plus de cette valeur dans la tête des citoyens.

Je verrais bien, dans les écoles de police, des cours d’initiation à l’art en général et à la peinture en particulier. C’est Jean Genet qui disait: «Il faut envoyer les Marocains visiter les musées!» Aujourd’hui, ils peuvent se familiariser avec la peinture dans les musées et galeries qui existent dans les principales villes du Royaume.

L’art a la fonction de nourrir le regard et de stimuler l’imagination. Je suis certain que la police serait heureuse d’y être initiée. Cela fait naturellement partie de la formation des agents.

J’imagine qu’on développe beaucoup plus les exercices physiques que le mental. Georges Simenon a passé sa vie à écrire sur les faits divers dont s’occupait le commissaire Maigret. Cet homme avait une grande expérience de la vie et une belle sensibilité. Il savait d’instinct ce dont est capable l’être humain. Derrière ce savoir-faire, il y a une culture, des lectures de romans et de journaux. Il parvenait souvent à résoudre des énigmes dramatiques en repérant chez les personnages liés au drame le maillon faible, la faille qui les trahit.

Être policier aujourd’hui, compte tenu des techniques de plus en plus sophistiquées (l’intelligence artificielle est en route), c’est redoubler d’efforts pour garder intactes son éthique et les valeurs pour lesquelles il travaille. De ce fait, notre police pourrait devenir la plus cultivée du monde si on acceptait de lui enseigner un peu de philo, un peu de poésie et un peu d’art.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 24/07/2023 à 11h01