Après la Maison Blanche, après le Congrès, la Commission européenne, le Parlement danois, le gouvernement britannique et un ensemble d’autres institutions à travers le monde que ce soit au Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, c’est au tour du Parlement marocain de mettre sur le tapis le problème de l’application chinoise de partage des vidéos, TikTok.
«Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera» avait pronostiqué Alain Peyrefitte, d’après une prédiction attribuée à Napoléon!
Si les arguments convergents au-delà des mers -aboutissant généralement à l’interdiction sur les téléphones mobiles professionnels des membres et employés desdites organisations- sont d’ordre sécuritaire, liés aux risques de désinformation et surtout d’espionnage, les enjeux ici sont tout autres et la demande encore plus radicale.
Lors d’une récente séance au Parlement, une députée du Parti Authenticité et Modernité a adressé une question orale à la ministre de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, réclamant l’interdiction définitive de TikTok au Maroc en raison des dangers qu’il représente, principalement pour les mineurs, de par son contenu destructeur, en plus de ses infractions aux lois en vigueur.
Harcèlement, exercice illégal de la médecine, mendicité, prostitution déguisée… l’Impunité de l’espace virtuel soulève clairement la question de l’application des sanctions légales contre les utilisateurs en cas de non-respect des lois, en entraînant un tas d’autres interrogations, d’une autre nature que les inquiétudes occidentales officielles en matière de sécurité nationale, de protection des données et de liens potentiels entre la maison mère ByteDance et le gouvernement chinois.
Bref! L’impact des réseaux sociaux sur les capacités cognitives et sur la santé mentale des enfants est un fait, corroboré par plusieurs études dont deux rapports d’Amnesty.
L’un d’eux porte le titre explicite de «Poussé-e-s vers les ténèbres. Comment le fil «Pour toi» de TikTok encourage l’automutilation et les idées suicidaires».
Du reste, les adultes usagers ne sont pas épargnés non plus sur le plan de la détérioration de la santé psychologique et mentale!
Le réseau social préféré des jeunes, dont les utilisateurs actifs dans le monde, tous âges confondus, sont estimés à quelque chose comme 2 milliards pour l’année 2024, est réputé être des plus chronophages avec un fil d’actualité infini, servi par un algorithme de filtrage ultra puissant permettant de sélectionner les vidéos selon les goûts, les recherches effectuées et les faiblesses psychologiques étalées au grand jour.
Résultat: une hyper addiction provoquée par la dopamine, neurotransmetteur du plaisir aux conséquences dramatiques que l’on imagine, tels le manque de concentration et de motivation dès lors que l’on sort du schéma «tiktokien» et l’inévitable décrochage scolaire.
C’est d’autant plus perturbant que, par un mécanisme extrêmement pernicieux, le modèle véhiculé par les adultes eux-mêmes, censés être des exemples, est des plus affligeants.
Il faut dire que la quête frénétique du buzz visant à gagner le maximum de vues et, de là, de sous, a poussé certains à se dévêtir de toute intégrité et de toute norme éthique.
L’argent avant la dignité!
Avec l’appât des clics, surgissent dans ce cirque d’étranges numéros d’hurluberlus, que l’on n’aurait jamais crus possibles dans une société dite conservatrice.
Au menu: un exhibitionnisme sordide, des danses suggestives, une hypersexualisation des corps transformés en marchandise tandis que, dans ce qui prend parfois toutes les apparences d’un asile d’aliénés en liberté, d’autres poussent l’absurde jusqu’à se dépouiller de leur carcasse humaine pour se proclamer, dans des litanies dignes de désaxés, qui poisson, qui sirène, qui couscoussier: «Ana samaka…», «Ana borma…», «Ana miqlat…»…
L’heure est grave!
Ce sont les valeurs humaines qui en prennent un coup et ce n’est sûrement pas une interdiction qui y changera quoi que ce soit.
Je n’ose même pas comptabiliser le nombre stratosphérique de vues pour ce type de vidéos ni les comparer avec les producteurs de véritable contenu qui s’échinent encore à faire acte de résistance au milieu de la crétinisation ambiante!
Si l’on ajoute à cela les influenceuses qui font miroiter un cyber-paradis où pleuvent les millions, avec leurs sacs atteignant jusqu’à 150.000 dirhams l’unité ou des revenus de l’ordre de 350.000 dirhams au cours d’un seul live de moins de deux heures, on se demande qui aurait encore envie, à moins de solides assises morales, de s’encombrer d’études ou d’activités normales!
Pour tenir face à ce chamboulement de paradigmes -et de valeurs !- certains médias classiques, ouverts sur le net, ont foncé dedans la tête la première, dans une logique purement mercantile; voire, encore plus triste, comme une clé de survie, en jouant complaisamment le jeu et en optant pour les thèmes clivants, pour le sensationnalisme, pour le règne, à son apogée, du futile et du superficiel, érigés tout à fait en haut de l’échelle.
Le postulat du philosophe Alain Deneault fait l’effet d’un verdict sans appel: «l’assaut a bel et bien été lancé et couronné de succès: les médiocres ont pris le pouvoir».