La forêt de Bouskoura, son air pur, ses grands espaces boisés où les familles se retrouvent pour pique-niquer à l’ombre des arbres, où les enfants se familiarisent avec la nature… Chaque Casablancais possède des souvenirs d’enfance dans cette forêt qui représente l’unique poumon de la ville. Pourtant, depuis quelques années, l’endroit très prisé des sportifs est devenu un haut-lieu de l’insécurité, à tel point que sa célébrité se retrouve aujourd’hui entachée par de sordides agressions. La dernière en date s’est passée cette semaine, et ce fait divers parmi tant d’autres aurait pu se solder par un drame.
Nous sommes le mercredi 12 avril, il est 17 heures, lorsque E.B., sportif aguerri qui se prépare à un trail de 120 kilomètres dans les montagnes, se fait agresser par deux hommes armés de barres de fer, alors qu’il se trouve sur son vélo, en pleine séance d’entraînement. Une agression sauvage narrée par l’un de ses amis, Smael Sebti, dans un post partagé sur les réseaux sociaux. «Ils l’arrêtent sur son vélo, le tabassant pour lui prendre vélo, montre, téléphone et alliance. Laissé à terre, il a pu ramper trente minutes jusqu’à la route avant d’être pris en charge par un cycliste bienveillant», raconte celui qui a coutume de s’entraîner avec la victime.
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E.B. s’en tire avec plusieurs fractures et d’après Smael Sebti, «son casque lui a évité un traumatisme crânien». De graves blessures qui témoignent de la violence de l’agression, qui s’est soldée fort heureusement par l’arrestation, le lendemain, des deux assaillants, âgés de la vingtaine à peine.
Une agression qui en cache d’autres
Ces deux hommes, A.R. les connaît bien lui aussi, car il y a un mois jour pour jour, lui aussi en a été la victime ainsi qu’un ami à lui, quasiment dans les mêmes circonstances. Contacté par Le360, le quadragénaire a accepté de raconter cet épisode traumatisant dont il se remet à peine. Le 13 mars, quelques jours avant le début du mois de Ramadan, il est 19 heures quand A.R. et un ami, tous deux sportifs aguerris, décident de faire une sortie dans la forêt de Bouskoura pour un entraînement de deux heures. A.R. connaît bien l’endroit, lui qui habite dans l’une des résidences qui jouxtent la forêt depuis 2015. Mais ce jour-là, A.R. et son ami décident de prendre un raccourci qu’ils n’ont pas l’habitude de prendre pour sortir de la forêt. Mal leur en a pris. «Nous étions au mauvais endroit, au mauvais moment», résume le cycliste.
En effet, alors qu’ils ont terminé leur séance d’entraînement et qu’ils s’acheminent vers la sortie de la forêt, deux hommes surgissent brusquement d’entre les arbres, armés de barres de fer. «Malheureusement, nous ne roulions pas à grande vitesse, et au départ, je pensais qu’il s’agissait de bergers… On en croise souvent dans le coin», explique-t-il. Pas même le temps de réfléchir que A.R. est frappé violemment au bras. «Je suis tombé de mon vélo et alors que j’étais au sol, les deux hommes ont continué à me frapper à coups de barre de fer», se souvient-il. Alors qu’il est à terre, les coups pleuvent, sur son dos, ses membres, sa tête –heureusement protégée par son casque– et sa nuque. «Ils avaient fixé sur leurs barres des objets tranchants comme des clous ou des tessons de verre», poursuit l’homme qui s’en est tiré avec de multiples contusions, des contractures au niveau des côtes et une entaille à la nuque. Son ami, qui était derrière lui, tente de s’interposer, mais les deux hommes s’en prennent à lui aussi et lui réservent le même traitement, sinon pire, car A.R. explique qu’il a été encore plus violemment battu que lui.
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La scène a duré entre cinq et dix minutes, nous explique la victime, mais sur le coup, elle semble durer des heures interminables. Et pendant tout ce laps de temps, les deux agresseurs ne disent pas un mot. «Ils ne parlent pas. Ils frappent. Ils veulent neutraliser toute forme de résistance de notre part», analyse après coup A.R. qui, dès le début de l’agression, leur dit de tout prendre, son vélo, son téléphone… Pourtant, malgré les suppliques des deux amis, rien n’y fait. «J’ai cru que j’allais mourir ici. Le fait que ces hommes ne parlent pas et se déchaînent de la sorte sur nous, sans rien nous dire, sans rien demander, m’a laissé penser que cette violence allait conduire à notre meurtre, que ces hommes étaient peut-être des terroristes. J’attendais qu’ils m’assènent le dernier coup fatal ou qu’ils m’égorgent», se souvient-il encore sous le coup de l’émotion. Mais au bout de quelques minutes, les deux agresseurs s’emparent des deux vélos et des téléphones de leurs propriétaires et prennent la fuite.
Tant bien que mal, A.R. et son ami se relèvent et prennent le chemin opposé pour sortir de la forêt. Là, ils trouvent une voiture dont le conducteur a lui aussi failli être agressé par les mêmes hommes, mais a réussi à les faire fuir en leur fonçant dessus. Direction la gendarmerie de la ville verte pour faire une déposition et porter plainte, puis retour à la zone de l’agression en compagnie des gendarmes. Mauvaise surprise, la zone en question dépend de la commune de Mediouna, il leur faudra alors se rendre dans une autre gendarmerie pour entreprendre les démarches nécessaires. Il est une heure du matin et bien que blessés et traumatisés, les deux amis se refusent à ne pas aller jusqu’au bout, car s’ils ne réagissent pas, il y aura assurément d’autres victimes…
Un mois plus tard, c’est effectivement le cas: E.B. a croisé le chemin de ces mêmes deux agresseurs, ce soir du 12 avril. Pour en savoir plus sur son agression et son état actuel, Le360 a contacté Smael Sebti, son ami. E.B. a été admis le jour même de l’agression à la clinique Jerrada et a été opéré le lendemain. Le bilan est lourd, avec une double fracture du péroné, un bras cassé...
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Son agression a obéi au même mode opératoire que celle de A.R. et son ami. «Il était seul, en bordure de la forêt. Deux hommes ont surgi et l’ont frappé, sans parler», explique Smael Sebti au sujet de son ami et partenaire d’entraînement. «Ils étaient munis de barres de fer, l’une avec une boule de fer soudée au bout, et l’autre avec un plateau de vélo soudé à son extrémité», précise-t-il au sujet de ces armes qui auraient pu faire un mort ce jour-là aussi.
Une forêt trop dense pour être sécurisée
Contactée par Le360, Mouna Lahlou, ancienne triathlonienne qui a mis sa pratique du sport intensif entre parenthèses depuis 2020, l’affirme, «nous avons toujours su que la forêt de Bouskoura n’était pas un endroit sécurisé dans sa totalité». Celle-ci explique qu’au-delà de la petite forêt où les familles ont l’habitude de se rendre et qui pour la peine est un endroit sûr, tout le reste de la zone boisée, qui s’étend encore sur plusieurs milliers d’hectares, est moins surveillé. Pour A.R., l’engouement des sportifs à se rendre dans cette partie de la forêt a commencé au moment de la pandémie. En effet, la «petite forêt» étant interdite d’accès pendant le confinement, les sportifs ont donc commencé à s’entraîner dans l’autre partie, plus sauvage de la forêt, restée en accès libre. Smael Sebti qui s’entraîne aussi régulièrement dans cette zone confirme l’attrait des sportifs pour l’endroit, qui bien qu’aménagé depuis un certain temps et disposant de pistes balisées, garde un aspect plus authentique et sauvage, car moins fréquenté, sans compter que son parcours est beaucoup plus technique.
Pour des cyclistes qui roulent à près de 30 km/heure, l’endroit est idéal pour s’entraîner, car ils ne risquent pas de percuter un promeneur, chose beaucoup plus probable dans la première partie de la forêt, trop fréquentée. Le hic, c’est que la zone est moins sécurisée. «Les gendarmes nous le disaient, dès qu’ils nous croisaient, de ne pas nous aventurer dans certaines zones où il y a toutes sortes de trafics», se souvient Mouna Lahlou.
S’entraîner, oui, mais pas dans n’importe quelles conditions
Ces trois sportifs contactés par Le360 sont tous d’accord sur un même point: quand on veut s’entraîner, il y a des mesures de sécurité à prendre, lesquelles sont connues par le petit milieu du sport en plein air, mais pas toujours respectées. Elles se résument en deux points: ne jamais s’entraîner seul (ni même à deux ou à trois seulement), dans la forêt de Bouskoura, et ne pas s’y aventurer à n’importe quelle heure. Pour Mouna Lahlou, ce créneau horaire débute à 8 heures -et jamais avant si elle est seule- et s’achève à 16 heures. En dehors de ces heures, elle estime que la forêt n’est plus un lieu sûr. Un témoignage qui se confirme avec l’agression de E.B. et de A.R., sortis seul dans le cas du premier et à deux dans le cas du second, dans une zone peu fréquentée, à des heures ou personne ne se trouve dans les parages.
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Pourtant, A.R. s’entraîne toujours dans un groupe d’une dizaine de personnes, jamais moins. Cette consigne, il la connaît, mais, explique-t-il, «l’envie de s’entraîner se fait parfois plus forte que tout, et puis on se dit qu’on ne risque rien après tout, et que cette séance de sport va nous faire du bien».
Pour Smael Sebti, même son de cloche: «quand on sort, c’est en groupe d’une dizaine, voire d’une vingtaine de cyclistes et à ce nombre, on ne s’est jamais fait agresser». Pourtant malgré les consignes, il explique voir souvent des cyclistes s’entraîner à deux dans la forêt.
Des sports qui s’accessoirisent et des sportifs qui deviennent des proies
Les agressions de sportifs ne sont ni gratuites ni anodines, car ceux qui sont ici ciblés sont ceux qui pratiquent le running et le cyclisme, deux activités qui ont le vent en poupe depuis quelques années. Triathlon, marathon, Iron man… les Marocains sont devenus friands de sports d’endurance qui nécessitent une hygiène de vie irréprochable, de nombreuses, fréquentes et longues séances d’entraînement en pleine nature, mais aussi des accessoires qui s’avèrent être très coûteux et donc prisés des voleurs…
L’ancienne triathlonienne fait le compte: «avec un V.T.T. qui coûte en moyenne 15.000 dirhams et dont la valeur peut monter au-delà de 30.000 dirhams, une montre entre 3.000 et 6.000 dirhams et des baskets à 4.000 dirhams, on devient des proies», conclut-elle, bien consciente de l’appât que cela représente pour des voleurs au fait de la valeur de ces accessoires sportifs.
A.R. confirme, mais dans son cas, les deux agresseurs ne connaissaient assurément pas la valeur des vélos qu’ils ont volés. Et pour cause, une fois arrêtés, ceux-ci ont admis au cours de leur interrogatoire avoir vendu chaque vélo pour une somme dérisoire… alors que leur valeur initiale est de 30.000 à 40.000 dirhams.
Smael Sebti, bien qu’il partage le même constat, tempère toutefois quant à la valeur du matériel utilisé, notamment dans le cas de E.B. qui ne disposait pas d’un vélo d’une telle valeur, mais d’un engin acheté chez Décathlon dont le prix ne dépassait pas les 3.500 dirhams. Mais quand bien même, entre le prix du vélo, de la montre utilisée par les sportifs, de leur téléphone, la fourchette peut varier aisément entre 20.000 et 60.000 dirhams.
Pas de répit pendant le ramadan
Si A.R. prend aussi en compte le fait qu’en période de ramadan et de fêtes spécialement, les agressions ont toujours été à la hausse à Casablanca, il n’en demeure pas moins, estime Smael Sebti, que la sécurité de la forêt de Bouskoura et de ses environs devient un enjeu majeur à mesure que les habitations, les écoles et les infrastructures se développent tout autour. Or, précise-t-il, à ce jour, la forêt est sous la juridiction des gendarmes qui régulent également la circulation au niveau des deux ronds-points en contre-bas.
«Les autorités font un excellent travail, on ne peut pas leur reprocher le contraire», déclarent en chœur les trois sportifs qui, tous, ont vu à l’œuvre dans cette même forêt les forces de l’ordre. D’ailleurs, c’est dans la nuit de l’agression de E.B., le 13 avril à 2 heures du matin, que ceux-ci ont mis la main sur les coupables et ont invité dans la foulée leurs victimes à les identifier.
Toutefois, leurs effectifs sont-ils suffisants et ont-ils évolué proportionnellement à la population qui occupe désormais l’une des plus grandes zones résidentielles du Grand Casablanca? C’est la question qui se pose.