Dans une rue animée, un homme insulte une femme: «Tfou! Dieu vous a créées d’une côte tordue. Vous êtes toutes tordues!»
Derrière cette insulte anodine se cache un mythe millénaire, enraciné dans le Judaïsme et le Christianisme, mais étranger au Coran. Un mythe qui a façonné les stéréotypes féminins pendant des siècles.
Dans la Bible (Genèse 2 :21-22), Dieu fait tomber Adam dans un sommeil profond: «L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme…»
Dans le Judaïsme, Ève, influencée par le serpent, manipula Adam et le poussa à consommer le fruit péché. Elle est coupable et toutes les femmes doivent subir une punition pour expier la faute d’Ève, responsable de l’expulsion des hommes du Paradis: douleur à l’accouchement et impureté rituelle pendant les menstruations (Lévitique 15). Pendant ces périodes, la femme ne peut toucher d’objets sacrés ni avoir de relations sexuelles avec son mari. Cette règle a servi à encadrer et contrôler les femmes, en soulignant symboliquement leur fragilité et leur impureté mensuelle.
Le Christianisme a aggravé la situation: Ève est responsable de la chute d’Adam et de l’humanité entière. La douleur de l’enfantement et la domination masculine sont une punition pour les femmes, renforçant l’idée que la femme est vulnérable, manipulatrice. Un danger pour l’homme.
Pour l’Islam, Adam et Hawâ’ partagent la responsabilité de leur désobéissance. Coran, Al-A‘râf: Dieu interdit à Adam et Hawâ’ de manger le fruit de l’arbre; Satan les tente tous les deux. Ils mangent le fruit, puis demandent pardon ensemble.
La Sourate Ta-Ha relate le même récit: la faute est clairement partagée.
Dans le Coran, la femme est innocentée: aucune côte tordue, aucune punition ni culpabilité.
Le Coran insiste seulement sur l’unicité de l’origine de l’homme et de la femme. Sourate An-Nisâ’: «Ô hommes! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être (nafsin wāḥidah), et qui a créé de celui-ci son épouse…»
Pourtant certains hadiths ont introduit l’idée symbolique de la côte: selon al-Bukhari et Muslim, le Prophète aurait dit: «La femme a été créée d’une côte. Tu ne la redresseras jamais totalement; si tu t’acharnes, tu la briseras. Recommande donc le bien à l’égard des femmes.»
Selon l’exégèse modéré, la courbure n’est pas une dévalorisation de la femme, mais une métaphore qui renvoie à la différence de nature entre les êtres humains et à l’importance de la douceur dans la relation. Il s’agit d’un langage symbolique, propre au contexte moral et pédagogique de l’époque, et non d’un jugement: la femme est d’une autre nature, courbée et délicate, et il faut la traiter avec douceur.
Dans la culture populaire musulmane, contrairement au Coran, la tradition a souvent pris le dessus. On entend encore couramment: «La femme est un danger, elle a fait sortir Adam du paradis, elle a causé la perte de l’humanité». Elle est complice d’Iblîs, rusée, capable de manipuler les hommes et de les mener à la perte. Elle est tombée de la sacoche d’Iblîs et maudite par Dieu.
Cette image est complètement étrangère au Coran, transmise de génération en génération, influencée par les traditions judéo-chrétiennes.
La côte tordue est devenue un prétexte pour expliquer la fragilité morale et physique des femmes, ainsi que leur propension à manipuler. Certains commentateurs y ont vu la source de la ruse, de la séduction et de la responsabilité des malheurs masculins. Bref, la première insulte de rue était née…il y a plusieurs millénaires.
Ce mythe n’a pas seulement servi à insulter. Pendant des siècles, il a justifié la surveillance et le contrôle des femmes, leur impureté lors des menstrues dans le judaïsme, la domination masculine dans le christianisme et certaines perceptions culturelles dans les sociétés musulmanes.
La femme a été coupable par défaut, qu’elle ait mangé le fruit ou non, qu’elle ait ses règles ou non. Elle était à la fois suspecte et séduisante, fragile et dangereuse, capable de pousser l’homme à la chute par la séduction. Ces clichés ont été perpétués par des siècles de traditions, de proverbes et de lois, et ont influencé la perception populaire de la femme.
Dire à une femme qu’elle est tordue comme toutes les femmes n’est pas un hasard. C’est un héritage millénaire, mêlant textes sacrés, interprétations culturelles et usages sociaux.
Pourtant, la femme n’est pas née tordue et n’est responsable ni du fruit ni de la chute. L’histoire montre surtout que des interprétations symboliques ont été détournées pour justifier domination, contrôle et méfiance.
Et si, au lieu de s’énerver dans la rue, on riait un peu de cette vieille histoire de côte tordue? Parce qu’au final, la vraie folie, c’est de croire encore à ce mythe pour insulter quelqu’un en 2025.





