Que transmettons-nous à nos enfants lorsque, deux jours durant, les 20 et 21 août, le calendrier suspend son cours?
Ces dates, placées côte à côte, ne sauraient être réduites à un rituel laudateur ou à une pause estivale. Elles doivent être racontées pour ce qu’elles sont: le rappel d’un pacte fondateur et l’invitation à le réinventer sans cesse. À la fois mémoire vive et appel à l’action.
Le 20 août 1953, Mohammed V et sa famille sont contraints à l’exil —d’abord en Corse, puis à Madagascar— par les autorités coloniales qui redoutent ses positions indépendantistes et sa convergence avec le mouvement national.
Depuis le Manifeste de l’Indépendance de 1944, le sultan s’était rapproché des forces nationalistes. En 1947, son Discours de Tanger fit date, consacré comme un jalon majeur affirmant son rôle de symbole de l’unité et de la souveraineté marocaine.
Paris croit briser la cohésion du pays. Elle ne fait que la renforcer. Cet éloignement devient l’étincelle d’une prise de conscience collective.
Grèves, manifestations, soulèvements et actions de résistance se multiplièrent aux quatre coins du pays, dans les villes comme dans les campagnes.
Résistants de l’ombre ou figures reconnues, paysans, ouvriers, étudiants, femmes et hommes anonymes… ont écrit une page décisive.
Leur fidélité à un souverain injustement éloigné traduisait l’attachement à une légitimité ancienne, fruit d’un lien organique multiséculaire, fortifiée encore par l’épreuve de l’exil, plus forte que les institutions coloniales.
Un élan collectif inédit a soudé le peuple et son souverain contre l’arbitraire, accélérant la marche vers l’Indépendance.
En ce sens, la Révolution du Roi et du Peuple fut autant un acte de résistance qu’un serment collectif.
Lorsque le sultan foule à nouveau la terre de la patrie, après plus de 800 jours d’exil, il est porté par une foule en ferveur, accueilli comme l’incarnation de la résistance et de l’espérance. Le pacte triomphe et précipite l’effondrement du protectorat.
En vain, le pouvoir colonial avait tenté d’imposer un roi fantoche pour rompre l’allégeance dynastique, mais il ne fit qu’accentuer l’attachement populaire au sultan légitime. Quelques mois après son retour, le Maroc proclama son indépendance.
Ce dénouement, loin d’être anodin, éclaire la spécificité du parcours marocain. Ailleurs dans le monde colonial, les rois furent balayés au profit de républiques neuves, bien vite rattrapées par leurs fragilités, leurs dérives et leurs tyrannies. Le Maroc, lui, scelle son indépendance dans une symbiose rare.
Contrairement à d’autres luttes anticoloniales, marquées par des fractures idéologiques et des ruptures institutionnelles, le Royaume invente une révolution de continuité: une alliance forgée au fil de l’histoire, où la légitimité du trône et la mobilisation populaire se sont nourries mutuellement.
Exception dans le paysage postcolonial: l’Indépendance marocaine ne passa ni par un coup d’État, ni par une rupture sanglante, ni par l’imposition d’une idéologie étrangère qui aurait remplacé une domination par une autre.
«Raconter le 20 et le 21 août à nos enfants, ce n’est pas seulement dire: «Voici notre passé glorieux». C’est leur confier une mission: «Voici votre héritage, voici nos devoirs, voici les engagements dont vous êtes désormais les dépositaires.»»
— Mouna Hachim
Plus qu’une page héroïque, la Révolution du Roi et du Peuple est une matrice politique, une mémoire vive qui se réactive à chaque moment crucial.
La Marche Verte, à l’appel du roi Hassan II, en fut l’illustration éclatante: un peuple tout entier se levant pacifiquement pour affirmer sa souveraineté.
Le 21 août, au lendemain du souvenir, s’ouvre un nouvel élan.
À la commémoration de la Révolution du Roi et du Peuple succède la Fête de la Jeunesse. Officiellement, elle coïncide avec l’anniversaire du roi Mohammed VI. Mais, au-delà de la figure du souverain, elle porte un message universel: la jeunesse n’est pas une menace, mais une promesse, une force vive, un relais.
Ces deux dates qui se suivent forment ainsi un diptyque subtil, une pédagogie politique: la mémoire comme socle, la jeunesse comme horizon. Un pays qui se souvient, un pays qui avance, et qui confie à sa jeunesse la responsabilité de prolonger ce pacte fondateur.
Loin de se réduire à des rituels figés, bien au contraire, l’une et l’autre engagent, exigent, interpellent. Ce sont des rendez-vous avec l’Histoire, mais aussi des rappels adressés à chacun d’entre nous, à sa place au sein de la communauté nationale: «Quelle part assumons-nous dans le destin collectif?»
Hier, l’enjeu était clair: l’indépendance politique. Aujourd’hui, après avoir mobilisé tant d’énergies et de ressources pour défendre l’intégrité territoriale, affirmé la souveraineté sur le Sahara et obtenu un large soutien international, tout en déployant de vastes chantiers d’infrastructures à travers le pays, un autre défi s’impose.
L’un d’entre eux, rappelé avec force lors du dernier Discours du Trône, est celui de l’équité entre les territoires: «Il n’y a pas de place, ni aujourd’hui ni demain, pour un Maroc à deux vitesses». Le cap est fixé: bâtir un développement équilibré où chaque région et chaque commune participent et bénéficient du progrès. L’accès à l’eau, à l’emploi, à l’éducation ou à la santé n’est pas une simple question technique, mais constitue les fondations d’une société juste, placées au cœur de l’action publique.
Encore faut-il que cette vision s’incarne dans une force politique et sociale constante. Or, celle-ci demeure inégale, freinée par les inerties administratives, les fractures sociales, les égoïsmes corporatistes et les calculs politiciens.
Le pacte, qui porta hier la souveraineté nationale, doit aujourd’hui trouver la même vigueur dans les combats du quotidien. Au-delà de l’action de l’État, c’est la responsabilité de chacun, dans son quartier, son école, son travail: participer à la vie publique, promouvoir la solidarité, protéger l’environnement, refuser l’incivisme qui ronge le bien commun... Autant de devoirs civiques qui donnent corps et avenir à ce pacte. Car une nation ne se maintient pas seulement par ses institutions, mais par l’implication vivante de ses citoyens. Elle ne se nourrit pas uniquement de commémorations, mais de projets partagés.
Aux enfants à qui nous racontons ces jours, nous devons transmettre non une hagiographie figée ni une liturgie sans vie.
Oui, la Révolution du Roi et du Peuple fut une épopée singulière, mais elle n’efface pas les défis d’aujourd’hui. Oui, le 21 août est une ode à la jeunesse, mais celle-ci attend des actes forts pour transformer cette célébration en énergie vive, capable de prolonger l’engagement collectif. Raconter le 20 et le 21 août à nos enfants, ce n’est pas seulement dire: «Voici notre passé glorieux». C’est leur confier une mission: «Voici votre héritage, voici nos devoirs, voici les engagements dont vous êtes désormais les dépositaires.»





