L’or de Guelmim? Twitter creuse plus vite que les géologues

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueGisement d’or à Guelmim? En un clin d’œil — le temps de lancer la formule «300 grammes par tonne» — les réseaux sociaux ont propulsé le Maroc au rang de superpuissance minière. Mais derrière le buzz et les fantasmes, la réalité s’avère… nettement moins étincelante.

Le 19/09/2025 à 11h00

Tout est parti d’un communiqué de la société Olah Palace Trading, annonçant avoir identifié 34 veines de quartz aurifère dans la ceinture de l’oued Draâ, au sud du Maroc. Une information technique, destinée avant tout aux spécialistes, qui aurait pu rester confidentielle. Mais une simple coquille — un zéro de trop — a suffi à transformer une teneur correcte, comprise entre 6 et 30 grammes d’or par tonne, en un chiffre surréaliste de 300 g/t. De quoi déclencher une véritable ruée… virtuelle.

En quelques heures, Guelmim s’est retrouvée propulsée au cœur d’un délire collectif. Twitter, TikTok et Facebook s’embrasent: «Maroc, nouvel Eldorado!»

Certains internautes imaginaient déjà l’économie nationale propulsée au rang des puissances minières mondiales. D’autres, plus pragmatiques mais tout aussi pressés, prodiguaient des conseils immobiliers: «Achetez vite des terrains à Guelmim, c’est l’investissement du siècle!»

Sur les groupes WhatsApp familiaux circulaient des cartes bricolées, zones rouges à l’appui, comme si les veines d’or se cachaient déjà sous les maisons. Certains allaient même jusqu’à prédire que le prix du mètre carré dépasserait bientôt celui de Casablanca.

Les sceptiques, eux, annonçaient le pire: vols, corruption, détournements. Pour eux, cette richesse hypothétique serait confisquée par les élites, tandis que le peuple regarderait passer les camions chargés de lingots.

La machine à buzz tournait à plein régime, tout comme celle de l’humour: Guelmim rebaptisée «Goldmim», des vidéos TikTok montrant des babouches en or…

Mais la réalité est moins clinquante. Oui, les résultats annoncés sont encourageants. Oui, la teneur en or est intéressante. Mais non, pas de 300 g/t, et non, Guelmim ne va pas devenir la capitale mondiale du métal jaune du jour au lendemain. Un projet minier se construit sur des années de recherches, d’études géologiques et de modélisations économiques. Bref, le jackpot n’est pas pour demain, même si la perspective reste sérieuse.

«Les réseaux sociaux ne sont pas des chambres de vérification, mais des amplificateurs qui transforment une étincelle en brasier.»

—  Soumaya Naamane Guessous

À l’échelle mondiale, la teneur moyenne est de 1 à 4 g/t. Les gisements exceptionnels d’Afrique du Sud ou du Canada dépassent à peine les 8 ou 10 g/t. Rares sont ceux qui franchissent le seuil des 30 g/t. Alors 300 g/t à Guelmim? Totalement irréaliste, du jamais vu.

Ce qui frappe dans cette histoire, c’est la vitesse avec laquelle une erreur s’est muée en certitude partagée. Plus besoin de vérifier la source: un tweet, une vidéo mal légendée, et voilà le Maroc croulant sous l’or. Ingénieurs, étudiants, professeurs comme analphabètes, tout le monde s’est laissé prendre au jeu. C’est dire la puissance de l’imaginaire collectif lorsqu’il s’agit d’or.

Car l’emballement en dit long: l’or n’était pas encore extrait qu’il nourrissait déjà les rêves, les peurs et les spéculations. Il est vrai que nous avons une longue tradition d’histoires qui voyagent plus vite que les faits. Jadis, à Guelmim, on racontait les légendes des oasis disparues; aujourd’hui, ce sont les tweets qui inventent des Eldorados. Les outils changent, le réflexe demeure: on rêve, on exagère, on enjolive.

La morale de cette saga numérique? Une simple coquille dans un communiqué suffit à enflammer un pays. L’or fait toujours rêver, même enfoui, hypothétique et incertain. Et surtout: les réseaux sociaux ne sont pas des chambres de vérification, mais des amplificateurs qui transforment une étincelle en brasier.

Alors, Guelmim, nouvel Eldorado? Pas encore. Mais l’affaire aura eu le mérite de révéler un gisement inépuisable: celui des exagérations made in réseaux sociaux.

«Almandba kbira ou lmayte far», entendez littéralement: les lamentations sont grandes, mais le mort n’est qu’une souris.

Et, si un jour l’or de Guelmim coule vraiment, espérons qu’il offrira plus qu’un buzz passager: des emplois, de la dignité et un avenir à la mesure des richesses humaines et naturelles de cette région.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 19/09/2025 à 11h00