Elle en est encore toute retournée, presque choquée. Elles sont deux, en fait, mais je parle de celle qui est assise en face de moi et qui est livide. L’autre semble prendre la chose avec philosophie: elle hausse les épaules et joue avec une mèche de cheveux collée sur une tempe.
Les deux sont de brillantes étudiantes en intelligence artificielle, sur le point de soutenir leur thèse de doctorat dans une université d’élite de notre beau pays.
Mais voici qu’un benêt leur a envoyé un message aussi sinistre qu’imbécile, dans lequel il leur reproche de travailler pour le dajjal.
Pour ceux qui l’ignoreraient, le dajjal est la version musulmane de l’Antéchrist des Chrétiens et de l’anti-messie des Juifs. Pour les Chrétiens, c’est un imposteur qui essaiera de se faire passer pour Jésus à la fin des temps.
En islam, le dajjal («l’imposteur»), qui est évoqué dans certains hadiths, apparaîtra à peu près à la même époque pour semer la confusion mais sera vaincu et éliminé par sidna ‘Isa (Jésus).
Tout cela est bel et bon mais quel rapport avec l’IA?
Voici -accrochez-vous, les amis, ça va tanguer. Selon le benêt évoqué plus haut -nommons-le Bouazza-, l’IA a pour principale fonction de berner les gens: elle permet de produire des vidéos trompeuses deep fake, de composer des textes sans auteur, de faire croire qu’on a affaire à un humain alors qu’on converse avec une machine, etc. Plus l’IA fera des progrès, plus elle s’approchera de la perfection en termes d’imposture. Or qui est le Grand Imposteur? Le dajjal! Donc l’IA roule pour lui. CQFD.
Tant de niaiserie, de bigoterie, de bêtise…
Aux deux doctorantes, dans le Starbucks du campus, je fis les remarques suivantes:
1. Tout d’abord, on ne gagne rien à mélanger la science avec la métaphysique. La science s’occupe ici-bas de choses concrètes, vérifiables, démontrables. La métaphysique traite de notions ineffables, hors du temps et de l’espace; tout y est affaire de croyance puisqu’on ne peut rien prouver. Ce sont deux mondes totalement disjoints. L’informatique et l’IA font partie du premier, le dajjal du second. Aucun rapport.
2. D’autre part, le dajjal n’essaiera de tromper les gens que sur un point. Ce n’est pas un menteur universel qui voudrait tromper tout le monde sur tous les sujets. Il n’a qu’une obsession: se faire passer pour un autre -sidna Isa. Rien à voir avec cette IA de science-fiction qui finirait par tromper tout le monde, tout le temps, sur tous les sujets.
3. Troisième remarque: pendant que les États-Unis, la Chine, la Corée du Sud et l’Europe mettent les bouchées doubles pour acquérir une solide avance dans ce domaine d’avenir qu’est l’IA, que font Bouazza et ses acolytes? Ils convoquent des textes abscons et des idées fumeuses pour contrecarrer l’avancée du savoir. Décidément, ils n’en ratent pas une.
J’espère avoir convaincu nos deux doctorantes de continuer sur la voie de la science sans se préoccuper des bigots et de vivre leur foi sans la mélanger avec les algorithmes et les techniques de data mining.
Ce n’est qu’à ce prix qu’elles avanceront dans la voie du progrès scientifique -et leur pays avec elles.
Quant au dajjal, on a le temps de voir venir. Comme disait Woody Allen, l’éternité, c’est long… surtout vers la fin.