En 1994, un homme désespéré: «Ma fille a épousé le fils d’un ami. Ils sont très amoureux. Un an après le mariage, une ancienne femme de ménage nous a annoncé, en pleurs, qu’elle avait allaité ma fille et son époux quand ils étaient bébés!»
Ce père a cherché toutes les solutions possibles pour ne pas briser ce couple. Il a consulté des religieux au Maroc, à la Mecque. En vain. Le couple s’est séparé dans la douleur, car sa relation était incestueuse!
Récemment, une femme m’a confié qu’elle a découvert que sa sœur est mariée avec son frère de lait et a eu deux enfants. Elle hésitait: parler ou enterrer ce lourd secret? Incapable d’assumer cette responsabilité, je l’ai orientée vers un religieux.
Allaiter l’enfant d’une autre femme était courant. Les femmes allaitaient leurs enfants jusqu’à 4 ou 5 ans.
Quand la maman retombe enceinte, elle sèvre son nourrisson, car son lait devient toxique. On dit: rdha’ laghyal. Certaines femmes ne sont plus fécondes pendant l’allaitement. Beaucoup utilisaient l’allaitement prolongé pour espacer leurs grossesses.
Le Coran s’adresse au mari qui veut divorcer de sa femme ayant un nourrisson: «Et les mères qui veulent donner un allaitement complet allaiteront leurs bébés deux ans complets. Au père de l’enfant de les nourrir et les vêtir de manière convenable.» (Attalaq: 6). Deux ans ont été considérés par de nombreux musulmans comme la durée légale de l’allaitement.
Mais les traditions sont discriminatoires: lbanete hawlayne quale chahrayne. Lawlade, hawlayne wa chahrayne. La fille deux ans moins deux moins, le garçon deux ans plus deux mois!
Le lait artificiel était inaccessible. Le lait maternel était donc vital. Le lait de chèvre et de vache peut être nocif. Seul le lait d’ânesse, oui, hlibe lahmara, est proche du lait maternel et a sauvé des nourrissons de la mort quand la mère décèdait ou qu’elle n’avait pas de lait.
Les femmes enfantaient régulièrement et avaient toujours du lait dans les seins. Allaiter un enfant est un ajère, une bonne action qui sauve le nourrisson de la mort.
Dans toutes les sociétés, il y avait des nourrices. Des femmes aux seins généreux, payées pour allaiter. Certaines mères refusaient d’allaiter pour ne pas abîmer leurs seins. D’autres n’avaient pas assez de lait ou nourrissaient leurs enfants elles-mêmes et recouraient également à une nourrice pour leur donner de la force contre les maladies qui emportaient les nourrissons.
Il était naturel qu’une femme sorte son sein pour rassasier un bébé qui hurlait de faim, en l’absence de sa mère. Une générosité inconcevable aujourd’hui.
Les mamans limitent la durée de l’allaitement, car les médecins déconseillent l’allaitement prolongé. Quand les femmes travaillent, elles ne peuvent rester accrochées à leur enfant toute la journée.
Le lait artificiel a libéré les mamans, surtout celles qui travaillaient hors du foyer. Certaines pompent le lait de leurs seins et le gardent au frigidaire pour nourrir l’enfant pendant leur absence. D’autres, malheureusement, refusent d’allaiter ou sèvrent précocement pour être libres et conserver une belle poitrine.
Si aujourd’hui l’allaitement est une affaire individuelle, avant, c’était l’affaire de la communauté qui veille à ce que les nouveau-nés ne meurent pas de faim ou de faiblesse.
Mais attention! Selon le Coran, les enfants allaités par la même femme deviennent frères et sœurs de lait. Ils deviennent comme ses enfants et ne peuvent épouser les personnes qui sont interdites à ses enfants: nièce, oncle, tante… En dialecte marocain, on dit que la femme devient rdhi’tou, sa mère dans la lactation, et ses enfants deviennent khoutu mène rdh’âa, frères et sœurs dans la lactation.
Il est interdit à un homme d’épouser sa mère de lait et à une femme d’épouser le mari de sa mère de lait. Le Coran dit: «Vous sont interdites: vos mères qui vous ont allaités, vos sœurs de lait». Leur relation serait incestueuse, comme pour des frères et sœurs de sang.
Maintenant, comment définir un allaitement? Les religieux ne sont pas d’accord. Pour les Malékites que nous sommes, et pour les Hanéfites, il suffit d’une seule tétée pour que le lait atteigne la gorge. Pour les Chaféites et les Hanbalites, il faut au moins cinq tétées.
Pour certains religieux, l’allaitement ne produit d’interdit que s’il a lieu au maximum à deux ans, suivant la recommandation du Coran d’allaiter deux ans. Après deux ans, certains considèrent que l’enfant ne va pas téter réellement, car il est déjà sevré, suivant un hadith du Prophète: «L’allaitement ne prohibe ce qui est prohibé par la parenté que s’il est rassasiant et a lieu avant le sevrage» (Attarmidi).
L’interdit de mariage ne concerne que l’enfant allaité, ses enfants et sa descendance, mais non sa fratrie. Le frère de l’enfant allaité peut épouser la fille de la nourrice. La fille de la nourrice peut épouser le frère de l’enfant allaité. L’interdiction concerne uniquement l’enfant allaité.
L’allaitement pouvait se faire intentionnellement par les mères. Ce que j’ai vu dans une famille à Rbat Lahjère, près de Zagora. Une maison abritait le patriarche avec ses six fils, tous mariés. Dès la naissance de ses petits-enfants, le patriarche désigne qui va épouser qui. Les mères, pour protéger leurs filles des tentations sexuelles entre cousins, allaitent ensemble les nourrissons qui ne sont pas destinés à se marier. Très tôt, elles informaient leurs enfants qu’ils sont frères et sœurs de lait et donc intouchables!
Les frères et sœurs de lait sont nombreux au Maroc. Beaucoup ont des frères et sœurs de lait de confession juive. Mais ces interdits n’existent ni dans le Christianisme ni dans le Judaïsme.
Si cette pratique était vitale, aujourd’hui elle disparaît.