Les dernières précipitations suffiront-elles à compenser des années de déficit hydrique?

La ville d’Errachidia sous la pluie.

Avec des barrages remplis à 31% grâce aux dernières pluies, le Maroc bénéficie, certes, d’un répit après des années de déficit hydrique. Mais derrière cette embellie se cache une réalité des plus inquiétantes: des apports en eau en chute libre et une exploitation excessive des nappes phréatiques. Décryptage.

Le 13/03/2025 à 19h27

Avec un taux de remplissage des barrages dépassant désormais les 31%, contre 26% l’an dernier, le Maroc bénéficie d’un répit hydrique grâce aux récentes précipitations et chutes de neige. Cependant, malgré cette embellie, les niveaux des ressources en eau restent en deçà des moyennes historiques. C’est le constat dressé hier, mercredi 12 mars, par Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’Eau, lors d’un f’tour-débat organisé par le Centre des jeunes dirigeants d’entreprises à Rabat.

Selon le ministre, le Maroc a connu une diminution des précipitations au cours des six dernières années. Bien que les dernières pluies soient relativement intéressantes, la tendance globale reste alarmante: «En moyenne, nous avons observé une baisse de 75% des précipitations par rapport aux niveaux historiques et à la moyenne nationale».

Selon Nizar Baraka, les apports en eau proviennent principalement de la pluviométrie et de l’enneigement, tout en signalant qu’historiquement, la moyenne des apports en eau du Maroc s’élevait à 22 milliards de m³ par an, si l’on considère la période allant de 1940 à aujourd’hui. Toutefois, cette moyenne a considérablement chuté au fil des décennies.

«Si nous analysons les tendances récentes, nous constatons que les apports en eau de surface n’ont pas dépassé 18 milliards de m³ sur les dernières décennies. Et lorsque nous affinons encore plus l’analyse, au cours des dix dernières années, ces apports n’ont jamais excédé 5 milliards de m³ par an. Cette baisse est considérable et reflète l’ampleur du stress hydrique auquel nous sommes confrontés», a détaillé le ministre.

Des cycles de sécheresse prolongés

Le responsable a également alerté sur l’évolution des phénomènes climatiques extrêmes: «Il est clair que nous alternons entre des périodes de sécheresse et des épisodes d’inondation. Mais ce qui caractérise la situation actuelle, c’est l’intensification et la durée des sécheresses. Par le passé, le Maroc ne connaissait généralement pas plus de trois années consécutives de sécheresse. Même durant les années 1980, qui figuraient parmi les périodes les plus difficiles, nous avons observé trois ans de sécheresse, suivis d’une année normale, puis de deux autres années de déficit hydrique».

«Nous avons enregistré six années consécutives de sécheresse, un record historique pour notre pays. Grâce aux précipitations de ce début d’année, nous espérons freiner cette tendance et, si possible, inverser cette dynamique. Mais il n’en demeure pas moins que nous restons sur des niveaux de ressources en eau particulièrement bas», a espéré Nizar Baraka.

Concernant l’enneigement, la situation s’est aussi améliorée par rapport à l’année précédente. En 2024, la surface enneigée n’a pas dépassé 9.700 km², alors que par le passé, elle pouvait atteindre 54.000 km². Toutefois, cette année marque un net regain d’enneigement, grâce aux importantes précipitations enregistrées depuis janvier. Rien qu’au cours des derniers jours, 2.000 km² supplémentaires ont été recouverts par la neige, confirmant cette tendance à l’amélioration.

Des nappes phréatiques sous pression

La baisse des précipitations et des chutes de neige a conduit à une surexploitation massive des nappes phréatiques, devenues une source d’eau essentielle pour pallier le manque d’apports en surface. «Nous disposons de deux types de nappes souterraines: les nappes fossiles et les nappes renouvelables, qui se rechargent grâce aux précipitations et aux infiltrations».

Cependant, l’équilibre de ces nappes est en danger. Nizar Baraka a expliqué que le seuil de renouvellement naturel des nappes est estimé à 4 milliards de m³ par an. Or, l’exploitation a largement dépassé ce seuil critique, atteignant aujourd’hui 5 à 6 milliards de m³ par an. «Cela signifie que nous puisons directement dans les réserves fossiles, ce qui met en péril l’équilibre hydrique à long terme», a-t-il averti.

Cette surexploitation a des conséquences directes sur le niveau des nappes phréatiques, qui diminue entre 3 et 7 mètres par an dans certaines régions du pays. La situation est particulièrement critique dans le Souss, où l’irrigation intensive a provoqué une montée de la salinité à la surface des sols. Résultat: 40.000 hectares de terres agricoles sont aujourd’hui devenus inexploitables.

Parallèlement, la disponibilité en eau par habitant au Maroc a chuté ces dernières décennies. «Aujourd’hui, nous sommes autour de 600 m³ par habitant et par an, selon les derniers résultats du recensement. En 1960, ce chiffre était de 2.600 m³. Si nous poursuivons sur cette trajectoire sans intervention forte, nous atteindrons 500 m³ par habitant et par an d’ici 2035-2040, ce qui nous placerait dans la catégorie des pays en stress hydrique extrême, selon les seuils définis par les organismes internationaux».

Face à cette situation critique, le pays a dû renforcer ses infrastructures hydriques pour faire face à la raréfaction des ressources. «Nous avons dû augmenter le niveau des barrages, et aujourd’hui, nous avons dépassé les 30% de taux de remplissage (au 12 mars 2025, Ndlr) ce qui marque une légère amélioration par rapport aux années précédentes. Certaines zones ont atteint des niveaux particulièrement significatifs, notamment Oum Rbiî, qui avait été particulièrement touchée ces six dernières années. Cette région a enregistré une hausse des précipitations notable, contribuant ainsi à reconstituer une partie de ses réserves d’eau», fait-il savoir.

Un déficit hydrique structurel

Les effets des récentes précipitations sont particulièrement visibles dans certaines régions arides qui n’avaient pas connu de pluie depuis longtemps. À Bouarfa, par exemple, «nous étions à seulement 0,14 mm de précipitations ces dernières années, alors que ces derniers jours, nous avons atteint 20 mm. Cela démontre que certaines régions longtemps privées d’eau commencent à recevoir des apports significatifs, et heureusement, nos barrages nous permettent d’optimiser la collecte et l’exploitation de ces eaux».

Le ministre a rappelé, encore une fois, que, malgré cette légère amélioration, le Maroc reste un pays structurellement en déficit hydrique, mais qu’il bénéficie d’un certain nombre d’acquis qui permettent de mieux gérer ces fluctuations climatiques. Il a notamment insisté sur l’importance des infrastructures hydrauliques mises en place depuis plusieurs décennies. «Nous avons aujourd’hui 154 barrages, avec une capacité totale de 20 milliards de m³, et nous poursuivons activement la construction de nouveaux barrages pour répondre aux besoins croissants du pays, en plus des 150 petits et moyens barrages, qui jouent un rôle crucial dans l’approvisionnement en eau, notamment dans les zones rurales où l’accès à l’eau est plus fragile».

Le Maroc a également misé sur des solutions alternatives pour sécuriser son approvisionnement en eau. Le pays dispose aujourd’hui de 16 stations de dessalement d’eau de mer, une technologie qui a commencé à être développée dès 1977 à Boujdour: «Aujourd’hui, nous avons atteint une production de 277 millions de m³ grâce au dessalement, et nous avons aussi 17 ouvrages de transfert d’eau pour mieux redistribuer cette ressource sur le territoire». S’ajoutent à cela les projets des autoroutes de l’eau et de stations d’épuration des eaux usées.

Par Hajar Kharroubi
Le 13/03/2025 à 19h27

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