La pénurie, avérée, de médicaments dans les pharmacies du Maroc, pour préoccupante qu'elle est, démontre un problème flagrant de communication entre le ministère de la Santé, qui la nie, et les pharmaciens, qui la vivent au quotidien depuis quelques temps dans leur officine. Pas plus tard qu'au cours du week-end des 8 et 9 janvier derniers, les pharmacies n’ont pas désempli, comme de nombreux Casablancais ont pu le remarquer.
A Casablanca, de longues queues se sont formées et la plupart de ceux qui se trouvaient devant ces officines cherchaient sans succès plusieurs médicaments qui leur avaient été prescrits contre la grippe ou le Covid-19, mais aussi des sirops contre la toux ou encore des antibiotiques pour enfants.
Les pharmaciens et le ministère de tutelle s'opposentPourtant, les pharmaciens, et le représentant de leur corporation, Mohamed Lahbabi, président de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc ont alerté leur autorité de tutelle, le ministère de la Santé et de la solidarité sociale, voici déjà une dizaine de jours: «pour éviter un état de panique des citoyens marocains, nous demandons au ministère de la Santé d’intervenir pour résoudre ce problème», a expliqué ce pharmacien, interrogé par Le360.
Lire aussi : Des syndicats de pharmaciens persistent et signent: il existe bien une pénurie de médicaments
Mardi dernier, le 11 janvier 2022, le ministère de la Santé a enfin réagi, par un communiqué, qui précise que le stock national des médicaments essentiels est suffisamment approvisionné.
Une affirmation qui vient donc démentir la pénurie pourtant constatée et dont les pharmaciens font état. Mohamed Lahbabi n’est d'ailleurs pas le seul de sa profession à en parler.
Aujourd’hui encore, deux jours après la diffusion de ce communiqué, Le360 a fait le tour, ce jeudi 13 janvier, de plusieurs pharmacies casablancaises et a pu constater, témoignages à l'appui, que le manque en certains médicaments est réel.
De nombreux pharmaciens casablancais confirment qu'il y a pénurie«La pénurie est là, elle existe. J’ai commandé entre 10 à 20 boîtes de vitamine C. J’en reçois une seule aujourd’hui», déclare Nadia Kadiri, pharmacienne dans la métropole. «Nous n’arrivons pas à travailler. Nous ne faisons que répéter aux patients, à longueur de journée, il n’y a pas de zinc, il n’y a pas de vitamine C, il n’y a pas d’antibiotiques pour le Covid-19», se plaint-elle.
Interrogée sur le communiqué du ministère de la Santé, elle s'exclame: «Monsieur le ministre dit qu’il y a tout sur le marché. On veut bien, mais où trouver ces médicaments? J’ai appelé deux grossistes, ils n’ont rien!».
Une autre pharmacienne de Casablanca, Habiba Lemseffer, signale elle aussi qu'il y a bel et bien une pénurie de certains médicaments: «il y a une rupture de stocks de tous les sachets anti-rhume et anti-grippe qui contiennent du paracétamol, de l’aspirine… La vitamine C a été en rupture de stocks pendant longtemps, nous avons été approvisionnés à peine hier…».
La pharmacienne signale aussi que le Zinaskine (du Zinc) prescrit dans le protocole thérapeutique du Covid-19 est entré très vite en rupture de stocks. «Il y a d’autres produits qui le remplacent, mais qui coûtent plus cher et les citoyens sont réticents [à les acheter]. Même chose pour la vitamine C, lorsqu’il y a rupture, on propose de l’acérola, mais les clients ne veulent pas débourser 100 dirhams, alors qu’ils avaient l’habitude de payer [leur tube] à 15 dirhams», précise la docteure en pharmacie.
Les difficultés d’approvisionnement des pharmaciens sont donc réelles, mais quelles en sont les raisons? Aucune réponse officielle n'a encore été clairement formulée à la publication de ces lignes. Le mystère reste donc entier.
Aucune rupture de production n'a été constatéeSelon un communiqué de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP) diffusé hier, jeudi 13 janvier 2022, aucune rupture dans la production des médicaments essentiels n’a encore été enregistrée.
Question: si le ministère de la Santé dément qu'il y ait une pénurie, et si l'industrie du secteur déclare qu'il n'y a aucun problème de production, et si les fournisseurs se plaignent uniquement d’une pression sur les stocks, que faut-il en retenir?
La direction du médicament, après enquête: pas de rupture de stocks relevéeLa direction du médicament au ministère de la Santé et de la protection sociale ne devrait-elle pas se prononcer clairement sur cette question? Cette pénurie de médicaments intervient dans le contexte d'une forte demande de la population, à cause de la grippe hivernale et d'une forte propagation du Covid-19 à cause du variant Omicron.
Contactée par Le360, Bouchra Meddah, directrice du médicament au ministère de la Santé, affirme que les fonctionnaires de son équipe ne savent pas où est le problème. «Nous sommes en train d’enquêter sur le terrain avec la contribution de l'ensemble des ressources humaines du service de suivi de secteur, et également de l'observatoire national des médicaments et produits de santé», a-t-elle indiqué.
Bouchra Meddah ajoute que depuis la semaine dernière, des équipes d’inspection sont mobilisées pour vérifier l’approvisionnement en médicaments dans les laboratoires pharmaceutiques, auprès des fournisseurs d'officines, et des pharmacies dans les différentes régions du Maroc.
«Comme peuvent le certifier les rapports des suivis rigoureux hebdomadaires que nous menons depuis le début de la pandémie au Maroc, que ce soit les laboratoires ou les grossistes, ils sont tous unanimes à déclarer qu’il n’y a aucune pénurie. C'est ce que nous avons trouvé sur le terrain depuis une semaine», précise Bouchra Meddah, qui admet cependant qu’il y a une légère tension concernant des médicaments contre le rhume dans certaines régions. «Je cite le cas de l’ibuprofène sirop pédiatrique qui est remis sur le marché depuis le début de la semaine», a-t-elle tout de même confirmé.
Alors que les pharmaciens ont demandé au ministère de réagir au plus vite et de trouver une solution urgente à cette rupture des stocks, Bouchra Meddah tient à rétorquer que la direction du médicament qu'elle dirige n’a encore reçu aucun courrier au sujet d'une pénurie de médicaments prescrits contre le Covid-19. «Nous demandons aux pharmaciens de signaler les ruptures de stocks aux grossistes, et si besoin à l’observatoire national du médicament de la direction du médicament et de la pharmacie, pour que nous puissions enquêter sur la source du problème et réagir de façon efficace et rapide».
Une nette rupture de communication paraît donc patente entre l'ensemble des professionnels de la filière des médicaments au Maroc, de leur production, à leur distribution, puis à leur vente en pharmacie. En toute logique, c'est au ministère de la Santé de se prononcer sur ce propos. Dernier fait: les fournisseurs des pharmacies ne se sont quant à eux toujours pas officiellement exprimés, à la publication de ces lignes.