L’étude a été publiée au début de cette semaine dans la revue scientifique Antiquity aux Presses de l’université de Cambridge.
On y apprend qu’une équipe internationale d’archéologues a permis de témoigner de l’existence, sur le site de Kach Kouch, dominant la vallée de l’Oued Laou, dans la province de Tétouan, du premier village protohistorique de la région et de là, d’une occupation humaine sédentaire continue aux confluences entre l’Afrique et l’Europe bien avant l’établissement phénicien.
Trois périodes distinctes ont été mises en évidence, s’étendant de l’Âge du Bronze ancien, soit de l’an 2.200 av. J.-C., jusqu’à la période phénicienne vers l’an 600 avant notre ère.
Elles mettent en lumière une présence humaine beaucoup plus ancienne et autrement mieux organisée qu’on ne l’avait préalablement supposé avec ses habitations structurées (maisons circulaires en torchis puis de forme rectangulaire avec des soubassements en pierres), ses silos taillés dans la roche (indiquant une gestion durable des réserves), son économie avancée (basée sur une agriculture diversifiée et sur l’élevage avec transformation et stockage) et son insertion dans un système large d’échanges.
Dans le même temps, ces découvertes interrogent et redéfinissent certains aspects de l’histoire sociale de l’Afrique du Nord.
Le résumé de l’article, co-signé en langue anglaise par les professeurs Hamza Benattia, Youssef Bokbot et d’autres auteurs sous le titre «Repenser l’Afrique méditerranéenne préhistorique tardive: architecture, agriculture et matérialité à Kach Kouch, Maroc», annonce d’emblée la couleur:
«Lorsque nous pensons à la Méditerranée de l’âge du bronze et du début de l’âge du fer, il est facile d’imaginer les sociétés florissantes d’Europe et de la Méditerranée orientale (…). Mais qu’en est-il du côté africain de la Méditerranée? Malgré sa proximité géographique et ses liens naturels, le Maghreb a longtemps été absent des récits historiques, qualifié à tort de «terra nullius» avant l’arrivée des Phéniciens…».
Ces intrépides navigateurs seraient arrivés sur les côtes de l’actuel Maroc depuis les côtes du Liban actuel à la recherche de métaux précieux comme l’or, l’argent, le cuivre ou l’étain.
Mais c’est essentiellement depuis leur fondation de Carthage (Kart-Hadat, la ville nouvelle, cette New York antique cosmopolite) à la date donnée par la tradition littéraire de 814 avant l’ère commune, que commencent à se percevoir les marques de cette culture, dite punique; surtout à partir du VIe siècle avant notre ère, lorsque la cité africaine acquit toute son autonomie politique et commerciale par rapport à la Phénicie orientale.
Cependant, un nombre considérable d’auteurs a persisté à rejeter toute notion d’apport autochtone, arguant d’une simple transplantation d’une civilisation orientale sur une terre libyco-berbère africaine immergée dans les affres de la primitivité.
Or, si la civilisation phénicienne se présente de prime abord comme un apport exogène, elle n’en a pas moins produit, depuis la fondation de Carthage, une civilisation originale, «produit d’une hybridation», selon les propos de l’universitaire tunisien M’hamed Hassine Fantar, née de la fusion depuis plusieurs siècles avec l’élément libyque, ancêtre du berbère.
Par ailleurs, dans l’imagerie savante rapportée depuis l’Antiquité, les marins phéniciens et habiles commerçants pratiquaient avec les habitants autochtones, au-delà des Colonnes d’Hercule, le commerce par dépôt signalé par Hérodote.
«Voici ce que disent encore les Carthaginois. Il existe, en dehors des Colonnes d’Héraclès, un pays de la Libye habité par des hommes chez lesquels ils se rendent. Ils débarquent leurs marchandises et les exposent en ordre sur le bord de la côte, puis ils regagnent leurs vaisseaux et font de la fumée pour avertir les indigènes. Ceux-ci, voyant la fumée, s’approchent de la mer, placent à côté des marchandises, l’or qu’ils offrent en échange, et se retirent. Les Carthaginois redescendent et examinent ce qu’ils ont laissé. S’ils jugent que la quantité d’or répond à la valeur des marchandises, ils l’emportent et s’en vont. Sinon, ils retournent à leurs navires et attendent. Les indigènes, revenant, ajoutent de l’or jusqu’à ce que les Carthaginois soient satisfaits...».
Il s’agit là du «commerce silencieux» ou «troc à la muette» comme bases des relations commerciales, évoluant vers d’autres formes d’échanges, surtout avec la fondation de comptoirs commerciaux par les Phéniciens et par leurs héritiers carthaginois.
Les récits abondent alors sur les listes des emprunts faits au monde punique depuis le domaine agricole aux rites funéraires, en passant par la langue, les pratiques cultuelles...
Plusieurs villes marocaines, égrenant les côtes ou longeant les cours fluviaux, attestent d’une présence punique à travers des témoignages combinant les apports de l’archéologie, de l’épigraphie, de la numismatique et tout ce matériel abondant constitué de poteries, de céramiques, de bijoux, d’amulettes...
Il faut d’ailleurs se demander s’il n’est pas plus prudent d’employer le double adjectif libyco-punique, prenant en considération la part des naturels du pays, à défaut de pouvoir faire une distinction adéquate entre les villes de stricte fondation et occupation phénicienne sur un terrain anthropiquement vierge, celles établies par leurs héritiers nord-africains carthaginois ou celles d’origine libyque (maure ou pré-dynastique) baignées de ces influences sur le plan de l’architecture, de la langue et des institutions.
Si personne ne peut mettre en doute l’immense avancée de la civilisation carthaginoise, pourquoi continuer de l’étudier, en effet, comme entité territoriale distincte et quelle était exactement la place des naturels du pays?
Gabriel Camps est l’un des premiers à avoir mis l’accent sur certains préjugés qui ont la vie longue: «On condamne les Berbères à un rôle entièrement passif lorsqu’on les imagine, dès le début de l’Histoire, recevant de l’Orient une civilisation toute formée qu’ils acceptèrent avec un plus ou moins grand enthousiasme. Une poignée de navigateurs orientaux, véritables démiurges, auraient apporté à une masse inorganique et sauvage dépourvue de la moindre culture tous les éléments d’une véritable civilisation longuement mûrie sur la côte phénicienne. J’ai déjà rappelé qu’à l’arrivée des premiers navigateurs phéniciens, les Libyens n’étaient pas de pauvres hères, des sortes d’aborigènes encore enfoncés dans la primitivité préhistorique. Depuis des siècles, les échanges avec les péninsules européennes et les îles, comme avec les régions orientales de l’Afrique, avaient introduit les principes d’une civilisation méditerranéenne (…)».
Si des données archéologiques approfondies manquaient pour étayer les informations sur cette part de l’histoire, la négligence est visiblement en voie de réparation avec les dernières fouilles successives et leurs révélations spectaculaires.
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