Dimanche dernier, à Melbourne, à la veille du match qui opposait l’Allemagne au Maroc dans le cadre de la Coupe du monde féminine de football, la capitaine des Lions de l’Atlas, Ghizlane Chebbak, s’est vu poser une question pour le moins surprenante par un journaliste de la BBC, en pleine conférence de presse.
«Au Maroc, il est illégal d’avoir une relation homosexuelle. Avez-vous des joueuses homosexuelles dans votre équipe et à quoi ressemble leur vie au Maroc?», s’est-elle ainsi vue demander contre toute attente. Cette question, tombée comme un cheveu dans la soupe, et qui a valu à la BBC de présenter ses excuses aux Lionnes de l’Atlas, en dit long sur plusieurs sujets.
Il y a d’abord ce énième tacle au Maroc, et par le truchement de l’homosexualité, à la question des droits humains qui n’y seraient pas respectés… on connait la chanson par cœur, surtout depuis que le parlement européen en a fait son sujet de prédilection. On épingle donc le Maroc, où l’homosexualité est certes illégale, bien que globalement tolérée, mais on se garde de poser ce type de questions à des joueuses occidentales qui pourraient avoir bien des choses à dire sur la question.
Après tout, pourquoi ne pas poser cette question à la sélection italienne? C’est bien en Italie que le gouvernement Meloni est parti en croisade contre les familles homosexuelles et fait la Une de l’actualité, avec la suppression du nom de la mère non biologique des actes de naissance d’enfants issus de couples de femmes.
Et pourquoi ne pas demander leur avis aux Espagnoles sur cette même croisade menée par Vox, le parti d’extrême-droite qui s’est taillé une grosse part du lion lors des élections municipales et régionales, contre les homosexuels? C’est pourtant bien en Espagne que Mariano Latorre, candidat de ce même parti dans la province de Cuenca, a comparé, à deux jours des élections, le mariage entre deux personnes du même sexe à une union entre une personne et un animal.
Alors, pourquoi destiner une telle question à l’équipe marocaine? Il faut croire que ce type d’interventions, qui implique les libertés individuelle et sexuelle, est réservé à une certaine catégorie de femmes, en l’occurrence les femmes orientales et/ou musulmanes. Se révèle en filigrane cette fâcheuse habitude occidentale qui consiste à considérer les femmes orientales comme des victimes et de vouloir en quelque sorte les sauver, étant établi selon cette logique, que les uns détiennent un savoir et des droits qui les rendent supérieurs aux autres. C’est cette même pensée bien-pensante qui oppose depuis de nombreuses années les féministes occidentales à de nombreuses féministes arabes qui, au grand dam des premières, se revendiquent d’un féminisme islamique. Peut-on être féministe, musulmane pratiquante et être pour autant une femme libre? Selon cette logique orientaliste, c’est une équation impossible, et toute réponse positive à cette question impliquerait un conditionnement, un endoctrinement de la femme.
La femme arabo-musulmane, victime éternelle d’une société patriarcale répressive, attendrait donc d’être sauvée et libérée par cet étranger qui ne veut que son bien. C’est l’une des lectures qui peut être faite de cette question. «Parlez sans crainte, vous êtes en sécurité, ici en Australie, pays de droit. La lumière est sur vous, le monde entier vous regarde, vous pouvez dénoncer en toute sécurité les horribles choses qui se passent chez vous et devenir une icône de la résistance»… L’arrivée de la sélection brésilienne de football en Australie, à bord d’un avion sur lequel était inscrit, «aucune femme ne devrait être contrainte de se couvrir la tête», un message de soutien aux femmes d’Iran qui protestent contre le port du voile depuis la mort en détention de Mahsa Amini en 2022, est un autre message fort allant dans ce sens.
Cette volonté des uns de libérer les autres s’est aussi exprimée en Malaisie il y a quelques jours, lorsque lors d’un concert du groupe britannique The 1975, le chanteur, Matty Healy a décidé de dénoncer avec véhémence les lois anti-LGBT en vigueur en Malaisie, où l’homosexualité est illégale. «Je ne vois pas l’intérêt d’inviter The 1975 dans un pays et de nous dire ensuite avec qui nous pouvons avoir des relations sexuelles», a «courageusement» déclaré le chanteur en joignant l’acte à la parole et en embrassant fougueusement son bassiste. Résultat des courses, un concert écourté, la tournée du groupe en Asie annulée et après s’être attiré les foudres des autorités du pays, le rockeur libérateur s’est aussi mis de nombreux activistes LGBT du pays à dos, ceux-ci considérant que ce type d’actions nuit à leur combat pour plus de droits, plutôt qu’il ne le sert.
«Ne nous libérez pas on s’en charge», ce slogan féministe est plus que jamais à propos alors que cette Coupe du monde féminine se veut plus politisée que jamais, avec pour toile de fond, la question du droit des femmes.
Enfin, comment ne pas voir derrière l’interrogation de ce journaliste britannique l’expression d’une société où la sexualité et le genre se sont imposés au cœur de débats identitaires virulents.