Une maison mitoyenne abritait un vieux et majestueux figuier que les nouveaux acquéreurs se sont empressés de raser en tout premier lieu.
De chantier en chantier, la construction n’a pas avancé d’un iota en plusieurs années, puis le projet finit par être condamné à la fermeture peu après son lancement.
Traitez-moi de superstitieuse si vous le voulez -Beaudelaire dirait que «La superstition est le réservoir de toutes les vérités»-, j’ai toujours pensé que c’était la malédiction du figuier!
Il en va de cette maison et de ce figuier comme il en va pour toutes les variétés d’arbres déracinés sans pitié, que ce soit à Casablanca, à Mohammedia, à El Jadida, à Kénitra, à Oujda, à Agadir, à Béni Mellal ou ailleurs à travers le pays, pour un ensemble de raisons avancées: allergie au pollen, élargissement des voies, dégradation par les racines du réseau souterrain et, on imagine, toutes les gênes occasionnées à des projets en béton.
Pendant ce temps-là, on ne sait quels ingénieux stratèges et, surtout, quels bénéficiaires de ce marché ont décidé que la variété dominante serait des palmiers stériles venus d’ailleurs, particulièrement de type Washingtonia.
On juge l’arbre à ses fruits!
Peut-on aussi impunément intenter à notre identité paysagère, à la biodiversité et sabrer à tout-va malgré l’arsenal de lois et de réglementations?
Depuis quand cultivons-nous la haine des arbres dans toute leur variété et dans toute leur arborescence?
Les enseignements sacrés sont pourtant légion et les exemples relatifs à l’importance de l’arbre dans notre culture, des plus éclatants.
Les noms de lieux n’étant généralement pas neutres, témoins qu’ils sont de l’histoire, de la géographie, des langues, des modes de vie, c’est cette piste que j’aimerais explorer…
Commençons par l’olivier, cet arbre béni, sacré dans tout le bassin méditerranéen!
L’ancien avocat réunionnais Eric Magamootoo en dit dans son livre «L’olivier et le Coran», dans lequel il invite à découvrir les sept Sourates consacrées à cet arbre de paix: «La colombe qui rapporte à Noé une branche d’olivier, le Christ qui se retire sur le mont des Oliviers sont des épisodes très connus de l’Ancien et du Nouveau Testament. L’olivier est très présent dans ce qu’on appelle, de manière courante, les religions du Livre…»
Appelé en berbère Azemmour, il a légué plusieurs toponymes, tels Izemouren (selon la forme plurielle) près d’Ouezzane ou dans la région d’Al-Hoceïma, Tazemmourt (dans sa forme diminutive) dans le Souss ou dans le Rif, Azemmour sur la rive droite d’oued Ziz ou sur la rive gauche de l’oued Oum-Rbia…
«Plus que l’olivier, affirme «L’Encyclopédie berbère», le figuier est l’arbre par excellence, celui qui est étroitement associé à la vie rurale des Berbères. On le trouve dans tout le Maghreb, d’ouest en est, depuis le Souss et le pays chleuh jusqu’aux confins tripolitains.»
Son nom, attribué également à son fruit, est Azar, donné à de nombreux toponymes, notamment sous la forme diminutive Tazart, dans le Haut-Atlas, dans le Rif ou dans la région de Tata.
C’est dans le mellah de cette dernière que Charles de Foucauld avait séjourné auprès de son guide, Mardochée Abi-Sror, originaire d’Akka.
Nous sommes tentés de rester en compagnie des arbres du paradis, mentionnés parmi les dons de Dieu. Tel est le cas du jujubier, en berbère Azeggouar accordé à quelques lieux (dont Zagora selon certains auteurs) ou du grenadier qui donne son appellation en arabe à la localité de Rommani en plein milieu du pays Zaër, chez les Oulad Yahya.
La variété onomastique n’a d’égale que la multiplicité des espèces.
Impossible à ce stade de ne pas considérer notre patrimoine forestier d’une richesse exceptionnelle, couvrant selon les estimations 13% du territoire national.
La cédraie occupe en sens une place de choix, faisant du Maroc un autre «pays du Cèdre», possédant la principale cédraie du bassin méditerranéen.
Cette essence noble des forêts marocaines qu’est le cedrus atlantica, originaire de l’Atlas, porte le nom berbère d’Achiker, présent notamment près de Taza, au Parc national du Tazekka, avec un lac nommé Dayat Chiker; alors que l’appellation arabe est Leuh, attribuée à un village du Rif occidental, chez les Beni Zeroual, sous la forme ‘Aïn Leuĥ (la Source des planches).
Il est décrit par Auguste Mouliéras à la fin du XIXe siècle, ainsi que ses grandes dalles entourant la source du village qui «proviennent des ruines d’une vieille cité, dont Aïn-El-Louh’ est la plus simple et la dernière expression.»
Le nom reste toutefois plus connu sous cette forme avec cette localité nichée au cœur du Massif du Moyen-Atlas, fameuse pour l’abondance de ses sources et de ses lacs, ainsi que pour ses forêts de cèdres et de chênes.
A propos de ce «ciment vivant qui relie les massifs forestiers», le chêne vert, selon les mots du botaniste Louis Emberger dans l’ouvrage dédié aux arbres du Maroc, serait la première essence forestière par sa surface.
Sa dénomination scientifique est Quercus, dérivée du latin, dans une parenté évidente avec le terme berbère Akerruch qui n’a pas manqué d’être signalée par les linguistes.
Plusieurs toponymes évoquent sa présence ou, du moins, un lointain souvenir, comme douar Akrich au sud de Marrakech, Al-Krich dans le Gharb ou dans la région de Taounat, Kerrouchen (forme plurielle) au Moyen-Atlas, connu pour sa grande forêt de chêne vert.
Tassaft est plus précisément le chêne à glands doux, donné à un ensemble de douars situés aux abords de l’Assif n’Tassaft, affluent d’oued Nfis, dont l’un des plus renommés est Zaouïat Tassaft.
Par ailleurs, le nom Tassaft est réputé dans le Rif, au centre de Temsamane, sur le territoire de ce que fut l’émirat de Nekour, fondé par les descendants de Salih ben Mansour, sur une concession administrative octroyée en 710 par le calife omeyyade Al-Walid.
Une autre variété de chêne est dite Ezzan (le chêne zéen). D’où Ouazzan, mentionnée sous la forme Oued Ezzan par l’historien Zayani, bâtie aux environs d’Asjen, foyer d’un très vieil habitat humain.
La liste est si longue qu’il me prend l’envie de me perdre à l’infini, du nord au sud du pays, entre pin (tayda); orme (ulmu); caroubier (tikida); peuplier (sefsaf); laurier (alili en berbère, avec pour lieu correspondant, l’antique Walili, Volubilis, capitale du roi berbère Juba II); pistachier lentisque (amadagh, de là Madagh dans l’oriental siège de la Zaouia Boutchichita, appelé darw en arabe donnant Drioua à Chiadma et dans l’Oriental, siège de la Zaouïa Habriya ou Darwa chez les Oulad Hriz dans la plaine Chaouia)…
Pensées donc pour tous ceux qui ont planté les arbres dont on cueille les fruits, et pour les autres, il est toujours temps de se racheter…
Si «Le meilleur moment pour planter un arbre était il y a 20 ans, dit le proverbchinois, le deuxième meilleur moment est maintenant.»