L’écrivain tchèque Milan Kundera a fait l’éloge de deux choses importantes: la lenteur et la légèreté. Il a écrit des livres brefs sur ces sujets au cours des dix dernières années de sa vie.
C’est un mode de vie et de pensée que toute personne sensée devrait un jour adopter. Rien ne sert d’accumuler des objets, et rien ne sert de courir après la vie. La lenteur est une vision du monde. Une façon d’appréhender le réel avec justesse et intelligence. Rien à voir avec la paresse et la nonchalance. C’est une question de regard et de vision des choses. L’homme pressé est une erreur. Mais quand il doit emménager dans un nouveau lieu, il souffre.
Tous ceux qui, un jour, ont dû déménager seront de mon avis. On dit qu’un déménagement équivaut à deux incendies, tellement c’est pénible, harassant et désagréable.
Il m’est arrivé dans ma vie de déménager très souvent. Jamais je ne m’y suis habitué ni accepté les ennuis que cela cause. Du stress, de la mauvaise humeur et l’esprit inutilement occupé.
D’abord, nous avons tous, ou presque tous, une manie, celle de garder des objets, des meubles, des milliers de livres, de disques, et de la paperasse, en nous disant qu’elle pourrait -on ne sait jamais- être utile au cas où l’administration fiscale ou une banque réclameraient une facture, une attestation, un document officiel, etc.
J’ai, pour ma part, développé une phobie des documents administratifs.
J’ai toujours envié mes amis qui savent tout classer, ranger les dossiers avec chacun son étiquette. Tout est sur une étagère. Facile à consulter. Prêt à déménager. Rien n’est laissé au hasard. Ce sont des gens organisés. C’est loin d’être mon cas.
On s’imagine que le monde s’arrêterait si on faisait le vide autour de soi pour enfin vivre dans un milieu sobre et modeste.
Notre rapport aux objets est névrotique.
L’architecte égyptien Hassan Fathi avait conçu, pour la classe des paysans pauvres du Nil, une ville où les maisons sont basses et simples. D’une simplicité magnifique. Les habitants les ont détestées. Ils auraient aimé des maisons avec un décor en toc où tout brille.
Il m’est arrivé de traîner de déménagement en déménagement des objets sans intérêt avec ce qu’on appelle un «attachement affectif». Je me suis rendu compte que cet attachement est ridicule. On s’attache à des personnes, à des amitiés, à des valeurs, mais pas à des objets.
Quand on change de lieu, c’est en principe l’occasion idéale pour se débarrasser de tout ce qui nous encombrait. Il faut apprendre à jeter, à ne pas donner de l’importance à une vieille armoire mitée ou à un canapé au cuir usé. Jeter ou donner.
C’est Jean Genet qui m’avait appris à faire le vide matériel autour de moi. Lui, il vivait dans des hôtels, il ne possédait que deux chemises, deux pantalons et une seule paire de chaussures. Il cachait les numéros de téléphone importants dans un étui à lunettes. Pas d’attache. Pas d’encombrement. C’est radical, extrême.
Il ne s’agit pas de vivre comme lui, mais de rechercher le maximum d’espace vide pour mieux respirer. En vérité, nous avons besoin de peu de choses. Mais nous nous alourdissons inutilement.
Les armoires sont pleines de vêtements dont on a oublié l’existence. On consomme trop. On achète trop, et souvent des choses dont on n’a pas vraiment besoin.
Vivre léger. Avec le minimum. Et le bonheur est possible.
C’est Alain Souchon qui chantait «On bouffe trop», et c’est aussi lui qui chante, dans «Foule sentimentale», le fait qu’on nous fasse consommer trop: «On nous fait croire que le bonheur c’est d’avoir pleines nos armoires; on nous inflige des plaisirs qui nous affligent…»
En rangeant notre habitation sobrement, on fait le ménage dans notre esprit. On le libère, on le rend plus disponible pour des choses plus importantes.
Pour vivre libre, il faut vivre léger. Ne garder que l’essentiel. Toute la société de l’économie libérale nous pousse à consommer et, de ce fait, nous contribuons à endommager l’environnement et participons à la destruction de la biodiversité.
Si nous décidons de ne plus être influencés par des campagnes de publicité, souvent assez efficaces (la publicité étant l’art subtil ou parfois grossier du mensonge), nous vivrons avec le minimum de choses autour de nous. Et notre esprit nous en remerciera, car il n’aura plus à s’embêter à devoir garder des objets inutiles ou simplement non nécessaires.
C’est une révolution. Faire le pari de la légèreté est le meilleur moyen de vivre en paix avec soi et avec les autres. Mais chacun est libre de vivre comme il veut.