Une femme de ménage, une dame travaillant chez des amis, une mère de famille élevant seule ses deux enfants, appelons-la Fatema, a demandé à me parler. Elle était en pleurs. Oui, elle pleurait et n’arrivait pas à exprimer ce qu’elle voulait. Au bout d’un instant, elle s’est calmée. Voici pourquoi elle pleurait: son fils, âgé de treize ans, ne va plus au collège, non pas par désir de fuguer et d’aller faire le voyou, mais parce que les enseignants sont en grève. Cela dure depuis plus de trois mois.
Fatema ne sait plus comment l’occuper, quoi lui dire, comment ne pas le décourager. Son fils aime l’école. C’est un élève brillant. Il a toujours de bonnes notes. Mais voilà, il n’est plus élève. On lui a dit que les professeurs ne viennent plus. Tous les matins, il va à son collège avec un de ses copains. Portes closes. Ils reviennent et jouent dans la cour de leur immeuble. Ils n’aiment plus jouer, ne savent plus quoi faire.
Fatema me dit: «Je n’ai pas les moyens de l’inscrire dans une école privée. Celle à côté de chez moi réclame 3.000 dirhams par mois. Ma fille a cinq ans, elle va entrer à l’école l’année prochaine. Mais mon fils, je suis en train de le perdre. Il commence à regarder des choses sur le téléphone de son copain. Je n’aime pas ça. Pourquoi ces gens font la grève et ne pensent pas à nos enfants, ils ne pensent pas aux gens pauvres comme moi. Je sais, ils veulent plus d’argent, je comprends, mais pourquoi ils laissent nos enfants dans la rue? Je ne comprends pas, je ne comprends pas.»
Je lis ce matin une information publiée par le quotidien Al Ahdath Al maghribia, alors que je pensais qu’un accord avait été trouvé entre les syndicats et le ministère de l’Éducation:
«La grève des enseignants continue de semer la discorde dans le secteur de l’éducation. La récente décision du gouvernement de suspendre une partie du salaire des grévistes a exacerbé une situation déjà tendue. Cette mesure, perçue comme un moyen d’intimidation et de harcèlement par les enseignants, a été vivement contestée. Ces derniers dénoncent ces ponctions comme étant une violation de leurs droits. En réponse, le ministre de l’Éducation nationale, Chakib Benmoussa, défend fermement ces actions. Il explique que, bien que les enseignants aient le droit de faire grève, cela ne devrait pas nuire au droit des élèves à apprendre.»
Ne connaissant pas ce dossier, je ne me permettrais pas de prendre position. Mais tout ce que je sais, c’est que le ministre de l’Éducation, Chakib Benmoussa, est un homme raisonnable, rigoureux dans son travail, exigeant en tant que ministre et citoyen, visant avant tout le sérieux qu’on demande à ceux et à celles à qui l’on confie nos enfants. Je pense qu’il a été nommé à ce poste pour réparer un secteur malade et qui a besoin de réformes importantes.
Tout le monde a constaté que le secteur de l’éducation a besoin de réformes et de remise en question. L’école publique a souffert d’un manque de rigueur et de sérieux. D’où le succès (scandaleux) des écoles privées dont certaines réclament jusqu’à 5.000 dirhams par élève par mois.
Certes le secteur privé serait de l’ordre de 12%, mais il crée des inégalités entre les citoyens, entre ceux qui ont les moyens et ceux qui s’adressent à l’école publique obligatoire et gratuite. Je connais des marchands d’écoles privées qui se sont fait des fortunes. Cela, tout le monde le sait, et tout le monde en convient.
Si je fais confiance à M. Benmoussa, j’ose demander aux enseignements grévistes de penser à Fatema, pour moi, emblème de tant de mères et de pères de conditions modestes et qui n’ont que les yeux pour pleurer.
La grève est un droit. L’abus de grève n’est pas un droit. Il faut, tout en défendant leurs droits, que les enseignants pensent aux centaines de milliers de collégiens et de lycéens privés d’études.
Au Japon, grand pays et grande civilisation, les grévistes travaillent et portent un brassard jaune autour du bras pour indiquer leur mécontentement.
Nous ne sommes pas au Japon. Je dirais que nous avons été contaminés par la France où les syndicats, et un nouvel avatar dangereux qui porte le nom de coordinations, font de la grève un sport national.
J’ose espérer que la raison l’emporte dans ce bras de fer engagé entre le ministère et ces coordinations. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d’arrêter durant des mois l’éducation de nos enfants. Le Maroc est en retard dans ce domaine. On l’a assez dit.