Jeûne et paradoxes

Mouna Hachim.

ChroniqueLa pratique du jeûne du mois de Ramadan, rituel immuable dont l’essence même est la purification et le dépouillement, nous entraîne chaque année dans une farandole de contradictions.

Le 15/03/2025 à 12h00

Surconsommation, gaspillage, incivisme, ostentation… La pratique du jeûne du mois de Ramadan, quatrième pilier de l’Islam et rituel immuable dont l’essence même est la purification et le dépouillement, nous entraîne chaque année dans une farandole de contradictions.

En théorie, ce mois commémorant la révélation du Coran est, comme chacun sait, un appel à l’introspection, à l’élévation, à la compassion, à la maîtrise de soi, au renforcement des liens, et bien entendu, à la méditation et aux actes de dévotion.

Dans la réalité, rien de neuf, à part les pluies bienfaisantes de ce mois de mars, tant les pratiques absurdes persistent, amplifiées par l’essor fulgurant des médias sociaux qui bouleversent les rapports public-privé et se muent en théâtre où l’exposition de soi, depuis la table jusqu’à la gandoura, devient le principal fondement.

Ici et là, on se scrute, on se décortique, dans une quête incessante de compréhension.

La dissonance cognitive est flagrante, et le malaise profond devant autant d’incohérences entre les aspirations spirituelles et les actions réelles.

La course vers la consommation n’a d’égale que l’écart avec les valeurs prônées de modération.

Dans les commerces pris d’assaut, certains fraudeurs n’hésitent pas, malgré les opérations de contrôles et le suivi des plaintes via la ligne nationale verte, à gonfler artificiellement les prix pour maximiser leurs profits, impactant non-charitablement le pouvoir d’achat de leur prochain, quand d’autres vont jusqu’à prendre le risque de mettre en péril sa santé en tentant de lui fourguer des denrées alimentaires impropres à la consommation.

Je lisais à ce propos, il y a trois jours, dans la presse nationale, que depuis le début du mois de Ramadan, 640 kg de denrées pourries avaient été saisies dans la préfecture de M’diq-Fnideq, alors qu’un entrepôt clandestin spécialisé dans la falsification des dates de péremption de toutes sortes de produits alimentaires a été démantelé à Casablanca en plein Ramadan.

Sur les routes, dans les rues ou lors de toutes formes d’activités sociales, les scènes d’incivilité se multiplient, donnant corps à l’adjectif «Mramden», qui devrait plutôt être synonyme de «serein» et non d’avoir les nerfs à fleur de peau.

Dans cette foire humaine, les réseaux sociaux décrochent le pompon. Ce ne sont souvent qu’exhibitions, captant sous l’angle le plus attractif, jonglant avec l’indécence, des jabadors, des qmis, des djellabas et des bombances qui feraient pâlir d’envie Gargantua.

Hérésie diététique que de faire côtoyer les combinaisons les plus improbables, alliant pizzas, sushis, nems, paninis, pastillas et croissants au chocolat ! J’ai même croisé dans une story, en plus de la harira, msemmen et chebakiya, de la tête de mouton et de la tqelya!

Il convient d’ailleurs, puisque le moment se présente enfin, de corriger une idée reçue, puisqu’il semble que l’on désigne depuis quelque temps par les termes «Ftour casablancais» cette manie de tout entreposer sur la table lors de la rupture du jeûne: chaud, froid, salé, sucré..., alors que -parole de Casablancaise!- cette coutume n’y est pas aussi anciennement ancrée et qu’en d’autres temps, comme dans tous les milieux traditionnels marocains, les repas étaient structurés en trois épisodes légers et équilibrés.

Histoire de ne pas faire les choses à moitié, pourquoi traumatiser l’estomac et négliger l’esprit?!

Au milieu de ce déficit de sobriété et d’humilité, s’invitent à la table une programmation télévisuelle qui brille par ses images décérébrantes et par la surexposition médiatique des mêmes figures habituelles, au point que certains comédiens apparaissent dans quatre séries différentes.

Pourquoi se priver, quand les exemples provenant d’autres domaines ne manquent pas, comme si les talents avaient déserté les paysages au profit des mêmes figures, omniprésentes et recyclées jusqu’à l’indigestion?

Des «têtes d’affiche» vues et revues, à tel point que l’humour populaire s’en est saisi pour décréter, au sujet de l’une d’entre elles, qu’elle est tellement présente sur tous les canaux qu’il ne lui manquerait plus que de faire l’appel à la prière. Des expressions de visages surjouées, comme au temps du cinéma muet, les jacasseries en plus; ou d’Ismaïl Yacine, sans le talent; un patrimoine musical ancestral ravagé par la publicité…

Dans cette effervescence consumériste, les chaînes de télévision, tout comme les annonceurs et les publicitaires, semblent s’être donné la main en orchestrant des mises en scène, particulièrement pour le créneau horaire réduit de la rupture du jeûne, avec un flot ininterrompu de publicités, préjudiciable au confort et au droit du citoyen-usager de ces médias, tout en interrogeant la mission véritable de service public.

D’ailleurs, quasi régulièrement depuis 2013, Soread-2M écope d’une sanction de la Haute autorité de la communication audiovisuelle en raison de la durée du matraquage publicitaire pendant le mois de Ramadan.

Mais à quoi servent les sanctions si le public doit subir chaque année cette orgie publicitaire entre colère et résignation? La HACA manquerait-t-elle à ce point d’autorité ou alors la sanction est-elle si dérisoire devant les retombées colossales de la publicité?

Bref, à moins d’être un anachorète solitaire, retiré des bruits du monde, coupant la télévision et jetant le téléphone, le véritable défi du Ramadan ne réside pas dans le reniement de la vie matérielle et sociale, mais dans la quête délicate de l’équilibre.

Dans un monde où les excès sont devenus la norme, ce mois sacré offre pourtant l’opportunité exceptionnelle d’une pause salutaire, un moment suspendu, un antidote à la frénésie, un retour à l’essentiel, loin du tumulte qui nous engloutit.

Par Mouna Hachim
Le 15/03/2025 à 12h00

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