J’ai retrouvé l’autre jour un vieil ami, bon vivant, bon camarade, bon entrepreneur et par-dessus tout bon musulman. Homme d’affaires qui a réussi, entendez par là qu’il s’est fait une fortune. «En bonne santé» comme on dit.
Il m’apprit qu’il se préparait pour se présenter à la députation. Il me dit: «c’est ce qui me manque pour asseoir comme il faut ma réputation!».
Il a eu le malheur de me demander mon avis.
Je lui dis: «Vraiment? Tu veux savoir ce qu’il faut être pour devenir un bon député? Alors, assieds-toi et écoute-moi, mieux prends des notes!»
Il me dit: «J’ai dans mon plan d’arrêter de fumer et de moins boire. Est-ce suffisant?»
- «Non, c’est bien d’arrêter d’empoisonner tes poumons par la cigarette accompagnée d’alcool. Non, il s’agit d’éthique.»
Il ouvrit grands ses yeux, et répéta après moi: «Éthique»!
Plus que jamais, l’éthique devrait être à la base de toute candidature en vue d’une élection, législative ou municipale. Une morale doublée d’une culture générale impliquant l’exigence et la rigueur. C’est ce qu’on pourrait appeler «le sérieux», denrée rare dans le plus beau pays du monde.
Un changement radical de mentalité et une volonté de servir son pays, une façon concrète d’être patriote. Les Marocains aiment leur pays. Certains oublient parfois de le servir. Les tentations et la faiblesse humaine sont à la base du manque d’éthique.
Lorsque des citoyens choisissent un des leurs pour les représenter au Parlement ou dans un Conseil municipal, ils lui font confiance et le chargent d’être leur porte-voix, celui qui défendrait leurs intérêts dans le cas où ceux-ci seraient négligés ou ignorés. Il ne parle pas pour lui, il parle pour eux, les absents, ceux qui l’ont désigné pour les représenter. C’est une tâche et un devoir honorables.
Une élection est un devoir. On se propose pour être au service des citoyens. On met de côté ses petits intérêts personnels, ses tentations de faire des affaires ou de mieux fructifier celles existantes déjà. Une sorte de sainteté si on veut réellement être un vrai démocrate. Une œuvre utile.
L’élection est un honneur, une chance. Être porteur de tant d’aspirations et assurer leur concrétisation est une épreuve qui ne supporte aucune compromission.
On est élu, cela veut dire, qu’on est perçu comme «le meilleur d’entre nous». Pour cela, il est important d’être à la hauteur de la tâche et une des premières actions à entreprendre c’est la chasse à la corruption matérielle ou morale, partout où elle sévit. Faire le ménage. Nettoyer les lieux et postes abîmés par la corruption sous des formes diverses.
«Les partis politiques devraient, quelle que soit leur idéologie, souscrire à ce code de conduite, valable pour tous. Ceux qui seraient tentés d’acheter des voix, seraient poursuivis et mis hors du système électoral.»
— Tahar Ben Jelloun
Cette pédagogie devrait être publique et à la portée de tous les citoyens. Un code des élections devrait être publié et affiché un peu partout, doublé d’une version audio en arabe darija, en berbère, etc.
Pas de cumul de mandats. Pas d’affairisme. Pas de népotisme. Et présence obligatoire à l’ensemble des séances sauf cas de force majeure. Toute absence non justifiée entraînerait une amende qui baisserait son salaire.
Un élu devrait donner l’exemple et être attentif à son comportement, à ses déclarations, à ses actes. Respect et sérieux. Deux valeurs affichées dans toute conscience.
Reste le problème des régions défavorisées où sévit encore l’analphabétisme. Pas la peine de le nier ou de faire semblant. Avec la succession d’échecs scolaires, que de jeunes citoyens quittent l’école et se contentent de vivre dans des conditions misérables.
Des cours d’alphabétisation devraient devenir intensifs et aider ceux qui, par malheur ou inconscience, ont dû abandonner l’école. Ce serait, parmi ceux-là, qu’on choisirait le futur élu.
Les partis politiques devraient, quelle que soit leur idéologie, souscrire à ce code de conduite, valable pour tous. Ceux qui seraient tentés d’acheter des voix, seraient poursuivis et mis hors du système électoral.
Là, mon ami ne souriait plus. Il fit de la main un geste signifiant que c’est de l’ordre de l’impossible.
J’ai poursuivi mon exposé:
Je me souviens avoir un jour exposé ma théorie à un homme politique en vue. Voici ce qu’il m’avait répondu: «Avec un tel code, tu ne trouveras personne pour se présenter. C’est de la sainteté! Des personnes dénuées de toute tentation de fructifier leurs affaires n’iront pas perdre leur temps dans une assemblée où on parle beaucoup sans que ça change grand-chose dans le pays! Faut être plus souple, plus accommodant, sinon, les gens ne viendront pas».
Il a peut-être raison. Mais tous les Marocains ne sont pas motivés que par l’intérêt. Il se trouve bien des citoyens honnêtes, sérieux, patriotes, prêts à servir leur pays et à le rendre meilleur. Bien sûr. Ils existent. D’ailleurs, c’est en partie grâce à eux que le pays fonctionne malgré tout.
Le Maroc est un pays émergent, économiquement. Il est respecté, jalousé, critiqué. Il lui manque la dimension culturelle qui en ferait un État de droit réel, une société civilisée, éduquée, civique et responsable. C’est en ce sens que tant d’efforts devraient être portés à l’éducation nationale. L’école nous apprend l’histoire et la géographie, comme elle nous apprend à vivre ensemble dans le respect des valeurs et des principes. Sans cette pédagogie, il y aura des laissés pour compte, des personnes vivant dans la précarité, condamnées à la pauvreté, laquelle contredit les avancées économiques et structurelles.
Cette «leçon de morale» est inscrite dans les valeurs de la tradition telle qu’elle a été enseignée par nos anciens, nos ancêtres.
Voilà, mon ami! À présent, tu sais ce qu’il te reste à faire si tu veux vraiment devenir député. Sinon, personne ne te fera le reproche de continuer à gagner de l’argent avec ton entreprise de ciment. Mais tu ne peux pas marier les deux fonctions: homme d’affaires et élu de la nation!
Nous avons quitté le café sur l’air d’une chanson de Houcine Slaoui, un chanteur de l’autre siècle, qui mettait en garde le Marocain contre l’appât du gain et l’amour inconsidéré de l’argent.





