Alors que les regards du monde entier se tournent vers le Maroc, futur co-organisateur de la Coupe du monde 2030, les ambitions du Royaume ne s’arrêtent pas aux terrains de football ou aux infrastructures sportives. En coulisses, un autre match se joue: celui de la souveraineté numérique. Un enjeu faisant écho dans les médias, certains affirmant que le Maroc nourrit aujourd’hui l’ambition de devenir le leader africain en matière d’intelligence artificielle (IA).
Fort de ressources solides, dont le plus grand data center du continent parmi 23 centres nationaux, le pays entend accélérer sa transition numérique à travers la stratégie «Maroc digital 2030», dotée d’un budget de près de 11 milliards de dirhams. La question n’est donc plus si le Maroc réussira ce pari, mais comment.
Une partie de la réponse se trouve dans l’Oriental, à Berkane, où l’École nationale de l’intelligence artificielle et de la digitalisation (ENIAD) a vu le jour récemment. En à peine deux ans d’existence, elle s’impose comme un vivier de compétences au cœur de cette dynamique.
«L’école est née d’un besoin croissant, tant au niveau national que régional, dans les domaines de la digitalisation et de l’IA», explique Khalid Jaafar, directeur par intérim de l’établissement. «C’est le fruit d’une collaboration entre plusieurs acteurs du territoire, avec pour objectif de former des cadres supérieurs aptes à piloter des transformations numériques d’envergure.»
Dès 2026, l’école délivrera ses premiers diplômes d’ingénieurs. Un profil qui suscite déjà l’intérêt marqué de nombreuses entreprises, tant au niveau national qu’international. «Des groupes comme TCI, S2I, SQLI ou encore CDG Capital sollicitent nos étudiants pour des stages et certains envisagent même leur recrutement direct, grâce à leur niveau technique élevé», souligne le directeur. Pour consolider cette dynamique, un premier forum étudiants-entreprises sera organisé en octobre 2025, avec la participation d’au moins 15 sociétés.
Pour des enjeux stratégiques
Derrière les murs de l’école, les compétences de demain se construisent. Dans la filière cybersécurité, considérée comme le premier rempart du pays face aux menaces numériques, l’enseignante Amina Kharbach insiste: «Avec les attaques qui se multiplient, il est impératif d’avoir des stratégies solides pour défendre nos infrastructures critiques. Il ne suffit pas de savoir réagir, il faut anticiper, protéger et comprendre les failles.»
Elle ajoute que des services vitaux comme ceux de la santé ou des finances sont en première ligne et nécessitent une expertise pointue pour assurer leur résilience numérique.
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Autre domaine clé: le développement mobile. Le professeur Mohamed Boudchiche enseigne le développement d’applications pour smartphones en intégrant dès le départ l’IA. Il explique: «Nous créons un environnement où les projets mobiles sont liés à trois grands pôles: la robotique, l’informatique et l’IA. L’objectif est d’intégrer l’IA dans toutes les applications que les étudiants développent, afin qu’ils soient prêts à répondre aux besoins réels du marché.»
Dans le domaine du deep learning et du DevOps, le professeur Nabil Alami observe une montée en puissance de la demande en projets de fin d’études, notamment à Casablanca et Rabat. «Cela montre à quel point le lien entre formation académique et exigences professionnelles est bien pensé», confie-t-il.
Un nouveau profil d’étudiants
Les ambitions ne se limitent pas aux encadrants ou aux décideurs. Du côté des étudiants, l’engagement est palpable. Lahcen Yasr, étudiant en deuxième année dans la filière robotique, le confirme: «On travaille sur du concret. On code, on manipule, on développe des applications mobiles et des objets connectés… tout en intégrant l’IA. C’est exactement ce que je cherchais.»
Le cursus est pensé pour stimuler la créativité, le sens pratique et l’adaptabilité, dans un secteur en perpétuelle évolution. Pour Lahcen, cette formation ouvre de larges perspectives: «Je suis passionné par la robotique et l’IA, cette école me donne une vraie longueur d’avance. Le marché du travail est très porteur, que ce soit au Maroc ou à l’étranger.»
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Pour de nombreux observateurs, l’approche marocaine ne relève pas d’un simple effet d’annonce. Le Royaume semble bel et bien construire, pas à pas, les fondations de son indépendance technologique.
À travers des établissements comme l’ENIAD, le Maroc pose les bases concrètes d’un leadership africain en matière d’IA. Ce projet dépasse la formation: il s’agit de créer un écosystème national dans lequel les talents formés pourront innover, entreprendre, sécuriser les systèmes du pays et s’insérer dans les grandes transitions de l’ère.
Le Mondial 2030 sera peut-être le miroir de cette ambition: une vitrine sportive… mais aussi un moment-clé pour révéler les fruits d’une transformation numérique ambitieuse, portée par une nouvelle génération d’ingénieurs, formés sur place, à Berkane.







