Certains milieux tunisiens seraient en émoi. Les réseaux sociaux s’enflamment. Les médias s’en mêlent. Une pétition circule et fait boule de neige. La polémique parvient jusqu’au Parlement au sein de l’Assemblée des représentants du peuple.
Cause de ce branle-bas de combat?
Le célébrissime général carthaginois, Hannibal Barca, né il y a quelques 2270 ans, se rappelle à notre bon souvenir par le biais du septième art, dans un projet de film américain dont la coproduction et la distribution sont signées par la plateforme de streaming Netflix
Jusque-là tout va bien (ou presque !), sauf que l’acteur iconique campant le rôle principal est le brillantissime Denzel Washington.
Or, l’acteur afro-américain, dont le talent n’est pas à prouver, serait trop âgé pour camper le rôle et, surtout, il serait un brin trop noir!
Pour les puristes, l’intérêt d’un récit historique, c’est qu’il soit historique.
Autrement, à quoi bon s’encombrer de faits, de chronologie, de collecte de données, d’analyse, de recoupement et de toute forme de vérification? De bonnes fables nées de fantaisistes imaginations, saupoudrées d’un semblant de fondement, depuis le physique jusqu’aux costumes, en passant par la tournure des événements, et puis s’en va!!!
Tant qu’à prendre des libertés, pourquoi pas un acteur soudanais pour incarner Napoléon Bonaparte, une Jeanne d’Arc chez les Peuls ou un Patrice Lumumba au pays des Vikings?
Quoique, en la matière, nous sommes gâtés avec le docufiction consacré à la reine égyptienne Cléopâtre incarnée par une actrice britannique de couleur noire tandis que, dans le monde fabuleux de Disney, Blanche-Neige devient métisse et la petite sirène couleur ébène.
Loin de se limiter à une simple question d’épiderme, la problématique principale soulevée par cette production, et généralement par la racialisation de personnages emblématiques nord-africains, est celle des risques liés à la réécriture et à la falsification de l’histoire face à ce qui est désigné comme du wokisme à outrance fâché avec la vraisemblance, mêlé à des entreprises d’appropriation culturelle chères à la mouvance idéologique afrocentriste.
Comme si l’Afrique était synonyme de couleur noire, effaçant toute autre composante autre que mélanoderme.
Personnellement, je ne sais pas si Hannibal Barca fils d’Hamilcar était blanc, noir ou métisse et, devant les fracas du monde, en toute honnêteté, la question me semble des plus délirantes.
Ceci étant dit, un buste trouvé à Capoue, actuellement au musée archéologique national de Naples, le représente sous des traits plutôt de type méditerranéen.
Pour aimer fouiner dans les origines lointaines des mots, j’avais découvert, en d’autres temps, que le nom Barca (prononcé parfois Barcha) désigne la couleur noire en berbère.
D’autres en font un équivalent de Béni, faisant dériver le nom de famille de Hanni-baal (Celui qui a la faveur de Baal) de la notion de baraka, voire de braq, l’éclair, synonyme de Foudroyant.
Le nom de famille reste attesté avec les Benbarka sahariens, issus de la grande tribu des Tekna dont l’un des membres est le réalisateur et ancien directeur du Centre cinématographique marocain, Souhaïl Benbarka, alors que le célèbre opposant Mehdi Ben-Barka, natif de Rabat, est issu d’une famille liée aux Qdamra de la Chaouia, de la lignée de Sidi ‘Amer al-Qadmiri, dont l’origine remonterait à Seguia al-Hamra (Pour dire la force des incontestables métissages!).
En langue amazighe, il existe par ailleurs l’adjectif du même univers sémantique, Aberkane/Berkane, désignant la couleur noire, avec pour variante, en parler vernaculaire, Brayk et une présence marquée dans la toponymie maghrébine, y compris sous la mention Barika.
Bref, ce que nous savons tous avec certitude, c’est que Hannibal Barca, fils d’Hamilcar, est le plus grand stratège de tous les temps, dont le génie militaire en tant que chef de l’armée carthaginoise s’est totalement affirmé lors de la deuxième guerre punique opposant Carthage à Rome et dont les manœuvres tactiques comme celles de la bataille de Cannes sont étudiées dans les académies militaires modernes.
Ce ne sont pas les récits qui manquent se rapportant aux fabuleux exploits du «pire ennemi de Rome», sa traversée des Pyrénées puis des Alpes avec ses éléphants et ses batailles mémorables ponctuant sa marche victorieuse en Italie, en passant par l’Hispanie et la Gaule.
Or, voilà que certains, dans la foulée de la polémique initiale, tentent de dénier à la Tunisie la paternité de cette figure emblématique.
La journaliste française native de Téhéran, Abnousse Shalmani, lançait à un David Pujadas, sur LCI, qu’à cette époque «la Tunisie n’existait pas»; qu’Hannibal était «Carthaginois issu d’une famille phénicienne, donc sémite venu du Proche-Orient».
Exactement comme si on affirmait que la France n’existait pas et que Clovis 1er était issu de peuples germanique, donc Allemand!
Au-delà des médias, une certaine littérature s’est toujours complu dans une description dévalorisante des peuples d’ici-bas, dans cette partie de l’hémisphère, n’hésitant pas à évoquer une incapacité congénitale de l’Afrique du Nord à rester libre.
Pourtant, à quelques différences près, et jusqu’à une certaine époque, les arrivants successifs sur nos sols sont pratiquement les mêmes qui ont marqué l’Europe: les Phéniciens, les Romains, les Envahisseurs Barbares...
Pour ne parler que d’elle, la civilisation phénicienne se présente certes, de prime abord, comme un apport exogène de par son origine orientale, mais elle n’en a pas moins produit, depuis la fondation de Carthage, une civilisation originale.
Appelée punique, elle est le «produit d’une hybridation», selon les propos de l’universitaire tunisien Mohamed Hassine Fantar, née de la fusion depuis plusieurs siècles avec l’élément libyque, ancêtre du berbère.
Dans ce cadre, «Il faut peut-être rappeler, écrit l’historienne algérienne Nacéra Benseddik, que le punique est né de la rencontre de deux mondes, l’un autochtone, l’autre oriental, qu’il est un métissage ethnique, culturel ou les deux à la fois et non une simple transplantation de la civilisation phénicienne dans une terre africaine libyco-berbère encore plongée dans la nuit primitive».
Face à ces peurs qui s’affichent au grand jour et face aux enjeux de la défense de l’identité, il nous reste tous à nous retrousser les manches comme je l’avais suggéré en ce qui nous concerne en tant que Marocains après la coloration orientale donnée par la série arabe polémique à «Fath al-Andalus» et au général Tariq Ibn Ziyad.
Nous avons une civilisation millénaire qui pourrait inspirer l’éclosion de centaines de productions, mettant en avant nos personnalités et déployant des fresques vivantes, sans tomber dans les plaidoyers idéologiques ou dans les œuvres de propagande.
Et surtout, nous avons le devoir de nous imposer en tant qu’acteurs à part entière, affirmant notre vision à travers nos propres productions qui disent qui nous sommes et où nous aspirons à aller, loin de ce spectacle de public dessaisi, réfugié a posteriori dans la critique et dans la victimisation.
In fine, comme dirait l’autre: «Acta, non verba!»