GenZ212. Implication massive des mineurs dans les violences: où sont les parents?

Scène de vandalisme à Inezgane.

​Alors que les manifestations du mouvement GenZ212 ont dégénéré en violences dans plusieurs villes du Maroc, un constat s’impose: la majorité des fauteurs de troubles étaient des mineurs. Un phénomène inquiétant qui soulève une question dérangeante: qui doit en porter la responsabilité? Les parents, la rue, l’école…? Au-delà des arrestations et des condamnations, c’est toute la chaîne de transmission éducative et sociale qui semble vaciller.

Le 03/10/2025 à 15h30

​Les débordements durant certaines manifestations du mouvement GenZ212, dans plusieurs villes du Maroc, ont révélé une réalité aussi spectaculaire qu’inquiétante: la grande majorité des fauteurs de troubles sont des mineurs. «Une large proportion des participants à ces attroupements violents était des enfants et des adolescents, représentant plus de 70%, atteignant parfois 100% dans certains groupes», déclarait Rachid El Khalfi, porte-parole du ministère de l’Intérieur hier jeudi 2 octobre.

​Les chiffres donnent la mesure de la gravité: trois morts, dont un adolescent durant une tentative d’intrusion armée dans une brigade de la Gendarmerie royale à Leqliaa, 354 blessés dont 326 au sein des forces de l’ordre, 446 véhicules endommagés et près de 80 établissements publics ou privés saccagés dans 23 provinces.

​Une responsabilité parentale encadrée par la loi

Le droit marocain pose un cadre très clair. Selon l’article 85 du Code civil, les parents sont responsables des dommages causés par leurs enfants non émancipés vivant avec eux. Le père, en vertu de l’article 236 du Code de la famille, est tuteur légal principal, la mère ne l’étant qu’en cas de décès ou d’incapacité. En droit pénal marocain, la majorité est fixée à 18 ans. En deçà de cet âge, les sanctions existent mais sont aménagées. Un enfant de moins de 12 ans ne peut être poursuivi, tandis qu’entre 12 et 18 ans, il peut faire l’objet de mesures éducatives ou d’un placement. La loi établit ainsi explicitement le lien entre la responsabilité du mineur et le cadre éducatif, en premier lieu familial.

​Des parents juridiquement responsables mais socialement dépassés

​Or, cette logique juridique se heurte à un constat social que de nombreux experts soulignent. «Ces jeunes ne sont pas seulement des casseurs: ils sont les symptômes d’un malaise social», analyse le psycho-sociologue Mohcine Benzakour. Il rappelle que la psychologie de foule a joué un rôle déterminant dans la violence observée, mais pointe surtout la rupture éducative: «Dès l’âge de 12 ans, un policier peut incarcérer un mineur… cette notion devrait être inculquée à l’école. Il doit savoir ce qu’est la responsabilité». S’il admet que la famille figure en première ligne, il insiste sur son isolement face à une force qui la dépasse: «Aujourd’hui, les parents sont dépassés par internet… Peut-on encore parler d’autorité parentale face à l’algorithme?».

​Il plaide ainsi pour une approche globale: sensibilisation des parents, médiation entre familles et institutions, éducation civique dès le plus jeune âge, occupations constructives pour combler la vacuité. «On ne peut pas gérer une crise avec la panique. Il faut revoir tout un système éducatif… Comment occuper ces enfants pour ne pas les laisser seuls face à internet?».

Une fracture éducative confirmée sur le terrain

​Pour Zineb Aboutaj, directrice pédagogique dans une école privée à Casablanca, la débâcle éducative est flagrante. «Les parents ont la responsabilité d’éduquer des citoyens qui respectent leur pays. Ça commence à la maison. Le sens de l’appartenance à un pays et l’amour de la patrie n’ont pas été semés dans les cœurs et les esprits». Elle dénonce l’absence de suivi parental, y compris dans les milieux plus ou moins aisés: «Certains pères ne se renseignent même pas à l’école sur leurs enfants. Ils paient certes mais sont complétement désintéressés».

​Elle ne ménage pas l’école: «C’est la faillite totale. Il y a certains enseignants qui insultent les élèves. Certains racontent leur vie en classe au lieu d’enseigner et je l’ai moi-même [constaté] personnellement durant mes études.» Pour elle, la rupture est bilatérale: «Les parents n’éduquent plus, et l’école ne peut pas éduquer à leur place.»

​Des familles fragilisées

​La sociologue Soumaya Naamane Guessous nuance sévèrement le discours moraliste. Pour elle, on ne peut pas traiter de la responsabilité parentale sans distinguer les contextes socio-économiques et socio-culturels. «La plupart des parents marocains peinent déjà à joindre les deux bouts. Éprouvés par les difficultés du quotidien, eux-mêmes frustrés, en colère et insatisfaits, comment pourraient-ils transmettre la sérénité à leurs enfants alors qu’ils n’en trouvent pas pour eux-mêmes?». Elle souligne également les effets de l’exode rural, des migrations internes et des désillusions accumulées par des jeunes venus travailler, loin de leurs familles et qui se retrouvent en échec.

Une reconstruction collective de l’autorité

​Face à ce chaos moral, Soumaya Naamane Guessous avance une proposition forte: «Il faut mobiliser de nouvelles figures, courageuses, crédibles, qui parlent vrai. Pas les mêmes visages politiques surconsommés».

Selon elle, l’urgence est désormais de s’appuyer sur des figures connues pour leur probité, présentes sur le terrain et capables de susciter la confiance. «La jeunesse ne croit plus aux élites actuelles. Elle a besoin de voix intactes, non entachées par la corruption, qu’elle puisse réellement écouter», insiste-t-elle. ​Elle appelle à injecter du sang neuf, à insuffler un nouveau souffle à la société et aux institutions, pour engager un dialogue crédible avec les adolescents.

​Benzakour plaide pour une réorganisation de la médiation entre familles, institutions et jeunes, avec une implication forte de l’État dans la communication de crise. «Il faut calmer les esprits, responsabiliser les jeunes, leur parler directement.»

​Une co-responsabilité

​Les événements de GenZ212 ne relèvent pas seulement de l’ordre public. Ils posent une question fondamentale: qui éduque encore? La famille seule ne suffit plus. L’école n’assure plus sa mission morale. Les associations sont trop peu impliquées.

​Faut-il blâmer les parents? Oui, s’ils ont démissionné. Mais peut-on les accuser lorsqu’ils sont épuisés, isolés, dépassés? Faut-il punir les jeunes? Oui, s’ils détruisent. Mais peut-on les punir sans leur avoir donné ce qu’on exige d’eux?

La réponse, selon les spécialistes interrogés est claire: la responsabilité est partagée. Familles, école, institutions, acteurs civiques et figures publiques doivent reconstruire ensemble un cadre commun, sous peine de voir se répéter les mêmes scènes. Punir sans accompagner serait aveugle. Comprendre sans agir serait lâche.

Par Qods Chabâa
Le 03/10/2025 à 15h30