Le débat sur l’égalité entre femmes et hommes dans l’héritage est de nouveau sur la table. Deux courants continuent à s’opposer sur cette question qui devient un vrai sujet de société. D’un côté, les défenseurs de l’équité des genres appellent à l’abolition de l’avantage accordé aux hommes, ainsi que la règle du «Taâssib» qui permet à des membres en dehors de la petite famille d’hériter. D’un autre, ceux qui s’appuient sur des questions purement religieuses pour appeler au maintien du statu quo. Dans son édition du vendredi 17 juin, Al Ahdath Al Maghribia consacre un dossier à ce sujet, en se référant aux positions exprimées par plusieurs personnalités et organisations appartenant aux champs politique, culturel, religieux et médiatique, ou encore des acteurs de la société civile.
Le premier à être cité par le quotidien est Driss Lachgar, Premier secrétaire de l’USFP, qui dit n’avoir aucune opposition à ce que l’égalité entre femmes et hommes dans les questions de l’héritage soit instaurée. Il en parle même comme une des questions liées à l’équité des genres que défend son parti et que cela ne s’oppose aucunement à la religion.
De son côté, Al Ahdath Al Maghribia écrit que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) refuse de se laisser traîner sur ce terrain, en évitant de s’exprimer sur la question. Citant un de ses membres lors d’une conférence de presse, le quotidien explique que le CESE considère que cette question n’entre pas dans le cadre des prérogatives que la Constitution fixe aux domaines économiques, sociaux et environnementaux. Les questions «religieuses» seraient ainsi exclues.
Toutefois, ce membre, qui faisait également partie de la commission chargée de la révision de la Constitution, a expliqué que la version qui a été présentée inclut une version différente de celle adoptée au niveau de l’article 19. Ce dernier traite justement de la question de l’égalité entre femmes et hommes, sauf qu’il mentionne que celle-ci doit se faire sur la base des valeurs prônées par le Royaume. En d’autres termes, dans le respect des incitations d’ordre religieux.
Sur un autre registre, la publication cite les résultats d’une étude menée par l’Association des femmes marocaines pour la recherche et le développement, en collaboration avec l’Organisation marocaine des droits humains, et qui montrent à quel point les deux courants s’opposent sur la question de l’héritage.
D’un côté, ceux qui soutiennent une révision des dispositions réglementaires pour abolir la discrimination dont font l’objet les femmes. Le journal explique que cette catégorie ne représente pas la majorité, et ce, pour plusieurs raisons, dont l’existence de pratiques de contournement des règles comme les ventes fictives, la donation entre personnes vivantes ou les conversions de religion par complaisance.
D’un autre côté, ajoute le journal, il existe ceux qui s’opposent à la révision des règles d’héritage, plus nombreux. Ces derniers se basent sur le fait que les règles actuelles sont fondées sur des versets coraniques précis et sur une large production doctrinale du rite malékite, de plus en plus sacralisée, qui ne permet aucune interprétation en présence d’un texte clair.
Par ailleurs, la même étude a montré que les appels à la réforme du système successoral, qui ont commencé au début de ce troisième millénaire, n’ont pas encore trouvé la réponse attendue. Dans le même temps, il a été relevé que plus du tiers de l’échantillon interrogé est favorable à la réforme du système successoral, ce qui dénote non seulement l’intérêt porté à la question des inégalités de genre en matière successorale, mais constitue aussi un indicateur important de l’évolution de la société marocaine, compte tenu des mutations qu’elle connaît et qui dévoilent sûrement une véritable marche vers l’égalité.
Quoi qu'il en soit, l’étude apporte des détails intéressants sur la perception par les Marocains de certaines règles spécifiques de l’héritage. Al Ahdath al Maghribia nous apprend dans ce cadre que 82% des personnes sondées approuvent la règle de la double part accordée aux hommes, tandis que 18% seulement se disent contre. Pour ce qui est de la religion des ayants droits, l’enquête a relevé que 48% des Marocains s’opposent à la règle interdisant l’héritage entre personnes qui n’ont pas la même confession. Ils s’appuient pour cela sur le fait que les principes religieux n’ont jamais évoqué cette question.
Pour ce qui est de la règle du «Taâssib», 53,5% sont contre toute révision de cette règle. Mais à ce niveau, note Al Ahdath Al Maghribia, dans les milieux urbains, ceux qui s’opposent à cette révision sont bien majoritaires.
C’est dire à quel point les divergences de positions existent sur ces questions, même si ceux qui s'appuient sur le référentiel religieux pour s’opposer à toute révision demeurent bien plus nombreux dans la société marocaine.