Éducation nationale: 2024 ou l’année de tous les dangers

Karim Serraj.

ChroniqueUn nouvel an qui débarque fait toujours éclore chez l’être humain une émotion d’espoir et d’attente. Dans bien des cultures, il y a les vœux et les bonnes résolutions que l’on adresse aux autres ou à soi-même dans son for intérieur: l’an prochain sera meilleur que celui-ci.

Le 31/12/2023 à 11h27

Ah, 2024 se profile à nos portes. Un an neuf, comme un bonbon ou un cadeau que l’on ouvre.

Que serait le monde sans cet enchantement qui pousse à s’améliorer, faire un bilan du passé, construire du frais à partir de l’ancien? Telle est notre condition intelligente.

De l’intelligence, il nous en faut pour solder en 2024 la grande dette contractée auprès de nos jeunes, notamment ceux de l’enseignement public. Après les deux années 2020 et 2021 de disette intellectuelle, due à la pandémie de Covid-19, où l’apprentissage en ligne tenté a été un bouche-trou plutôt qu’une solution, voilà que les enseignants des collèges et lycées font des siennes. Tout un trimestre blanc. Les parents prient pour que le 1er janvier ne rime pas avec vide sidéral. Une génération d’élèves mal servis par le sort.

La situation est complexe du point de vue des professeurs. Ces derniers ont peut-être raison de réclamer un meilleur salaire. La paie du mois, ce sont aussi les enfants et le foyer de ces fonctionnaires, qui se révèlent quelque peu délaissés par l’État depuis des lustres. Ils sont pris dans l’engrenage social et peinent à joindre les deux bouts. Le salaire du professeur est-il suffisant pour vivre décemment? Un professeur de collège ou de lycée, aujourd’hui, c’est l’impossibilité d’acheter des livres et des manuels pour progresser dans sa formation, ou pour être à jour tout simplement. La qualité de l’enseignement dépend essentiellement des ressources et des méthodologies de travail disponibles pour les transmetteurs du savoir. Les établissements publics sont encore dépassés par la modernité de l’apprentissage et se suffisent à eux-mêmes: un tableau noir, quelques craies et rien à l’horizon...

Un professeur au Maroc vivote et ne s’épanouit guère. Il n’a pas la tête à la connaissance et à l’intellect, qui deviennent un luxe dans sa vie. Il est englué dans les rets de la classe moyenne, voire de la classe D lorsqu’il a des crédits, deux ou trois enfants et une épouse qui ne travaille pas.

Il est coutumier de dire que les enfants ne lisent pas, mais les adultes, et notamment ceux qui appartiennent à la sphère de l’éducation nationale, le font-ils? Lorsque la jeune génération observe les grands, elle constate qu’il y a rarement de livres et d’incitation à la lecture dans l’environnement familial.

Ces jeunes, que l’on voit arriver à l’université marocaine, sont pleins de mauvais tics. Ils ne savent pas prendre des notes, ne savent pas prendre la parole à l’amphithéâtre, ne savent pas discuter et dresser un plan de débat sur les questions des cours. Ils ne maîtrisent en général ni l’arabe classique ni le français, et ont du mal à s’imposer à l’université. La plupart d’entre eux se posent sur les bancs, et sans jamais sortir un classeur, ou la moindre feuille blanche, regardent le professeur et attendent de récupérer les polycopies.

En janvier 2024, l’école va-t-elle reprendre? Tout le monde le souhaite ardemment. Les débats et tergiversations auxquels la société a assisté depuis octobre dernier n’augurent rien de bon. Le gouvernement a semblé réussir à éteindre le feu il y a quelques jours, lorsque les syndicats de l’enseignement ont annoncé la fin totale de la grève et la reprise du travail. Moment de soulagement. Un «ouf» poussé par les parents et même les jeunes qui ont montré leur lassitude de ne pas aller à l’école. Tout semblait revenir à l’ordre. Les médias ont sonné le glas de la querelle et annoncé la réconciliation des acteurs syndicaux et de la commission chargée par Aziz Akhannouch de trouver des compromis avec les grévistes.

Mais patatras! Il y a deux jours, vendredi 29, les choses ont empiré. Plus d’une vingtaine de coordinations régionales ont rejeté en bloc les arrangements obtenus. C’était leur cadeau de fin d’année. À coup de communiqués, elles ont dénoncé le parti pris des syndicats et du gouvernement qui, soit dit en passant, ne reconnaît pas les coordinations. Ces dernières ne veulent pas du compromis obtenu et souhaitent faire partie de la commission de discussion, de laquelle elles ont été mises à l’écart, voire éjectées depuis trois mois.

Le gouvernement et les syndicats pensaient pouvoir les maintenir à l’écart, mais depuis l’ombre où elles sont tapies, les coordinations régionales risquent bien de faire voler en éclats les timides résultats atteints en cette fin d’année sur le statut unifié et les salaires des professeurs.

Janvier 2024 s’annonce donc grisâtre, avec des nuages tournoyant au-dessus de l’école marocaine. Rien n’est encore joué. Peut-être que tout est à refaire.

Le poids des coordinations sera tributaire du bras de force qu’elles ouvrent désormais avec les syndicats. Orphelines, elles cherchent la reconnaissance et à avoir une voix dans le débat. La situation reflète l’absence d’unité dans le corps professoral.

Ma pensée, finalement, va vers les enfants et les adolescents qui piétinent dans l’attente. La majorité des écoles a repris «normalement» les cours la semaine dernière, après le compromis réalisé par les syndicats et la commission gouvernementale. Mais cela va-t-il durer après le couac de la représentation syndicale à laquelle nous venons d’assister? Janvier nous le dira.

Par Karim Serraj
Le 31/12/2023 à 11h27