Des couples mariés (ou pas) et des hôtels chelous

Karim Serraj.

ChroniqueTandis que les CAN 2024 et CDM 2030 se profilent, l’hôtellerie marocaine devra composer avec le règlement en vigueur sur le contrat de mariage des couples en chambre commune. À moins que le Maroc ne dépoussière cette circulaire d’un autre âge, profitant du foot pour marquer un but décisif.

Le 26/05/2024 à 10h59

On ne se moque jamais mieux que de soi-même dans une société où certains bastions de l’absurdité ont la vie dure. Ce règlement en vigueur dans les hôtels est anachronique dans une société où, à 18 ans, l’individu est considéré par ses lois comme mature et responsable de ses actes. Cette tare sociale où l’on demande un pedigree pour obtenir une chambre est aussi discriminatoire: elle épargne les couples étrangers que les hôtels n’osent pas déranger avec une telle baliverne, mais s’applique avec un certain vice aux couples marocains, et également lorsque des hommes étrangers sont accompagnés d’une Marocaine. Or la CAN 2025 et surtout la CDM 2030 arrivent à grands pas et le Maroc va recevoir plusieurs millions de visiteurs et d’aficionados du ballon rond, des quatre coins de la planète, de tous les âges, de toutes les nationalités, hommes et femmes… Les Marocains aussi, hommes et femmes, vont voyager, faire la fête en supportant notre équipe nationale. Rappelons-nous les belles images marocaines de la Coupe du monde au Qatar, cette communion nationale qui sera, sans doute, amplifiée en 2030 sur notre sol. On aimerait voir des groupes d’amis, filles et garçons mélangés, réunis en public et ensemble, dans la rue et les hôtels, des familles aussi, des couples amoureux se tenant la main, des cliques de jeunes et d’autres du troisième âge heureux et en liesse à ce moment-là. Et sans les embêter avec une inquisition morale pesante qui met son nez partout.

Durant les compétitions, il sera difficile aux hôteliers de garder la tête haute et d’exiger à leurs concitoyens cette preuve en papier pour disposer d’une chambre à deux. Dans les hôtels de luxe, c’est plié avec l’argent: le réceptionniste va proposer deux chambres séparées, les frais doublent et les clients casquent bêtement pour une deuxième chambre qui va peut-être rester vide toute la nuit. Mais dans la majorité des hôtels 2, 3 et 4 étoiles qui seront le plus sollicités lors de ces événements sportifs, la réception osera-t-elle demander aux conjoints de quitter les lieux comme une paire de criminels? Cette triste réalité s’observe de nos jours systématiquement dans toutes les villes.

Un état de fait dénoncé mille fois par les acteurs de la société civile, les écrivains, les associations qui bataillent pour la liberté des individus, dénoncé encore plus de fois par les honnêtes gens offusqués qu’un groom -un inconnu- détienne et lise sans vergogne un contrat de mariage intime et personnel. On peut continuer à faire l’autruche. À tergiverser sur un sujet de surveillance de la vie privée effectuée par des citoyens sur d’autres citoyens. À dire faussement que cela permet de décourager la prostitution, argument qui met dans le même sac tout couple qui se présente, même avec les meilleures intentions durant leur séjour, devant un représentant officieux de la loi morale, un employé d’hôtel apte à juger s’il a en face de lui une femme légère ou pas. Même les jeunes fiancés sérieux qui cherchent un peu d’intimité sont gênés de ne pas avoir d’acte de mariage dûment estampillé pour profiter de cette étape belle de leur idylle.

Une deuxième option serait de se mentir un peu et déclarer une trêve nationale durant la CAN 2025 et la CDM 2030. Une autre circulaire de l’Intérieur, positive celle-là, autoriserait les hôtels à accepter tous les couples marocains sans leur demander de montrer patte blanche. Politique-fiction? Non. C’est le choix fait par le Qatar pendant sa coupe du monde pour faciliter notamment aux couples arabes l’accès aux hôtels sans embrouille.

Enfin, on peut considérer que c’est une affaire qui ne peut plus attendre. Que chaque jour des citoyennes et des citoyens subissent encore l’affront d’être catalogués et moralement jaugés par des hôtels. Cela en vérité peut arriver même dans la rue, un policier zélé peut très bien demander à un couple la nature de leur relation, et s’ils transportent avec eux le fameux karit zwaj. Un pays frère, les Émirats arabes unis, a fait un pas décisif en abrogeant récemment la loi qui permettait aux détenteurs de l’autorité, mais aussi les hôtels, les agences de location, etc., de s’intéresser à la vie privée des couples. Dans son envol, le Maroc ambitionne de devenir une terre d’accueil cosmopolite, au carrefour de plusieurs civilisations, où plusieurs nationalités et cultures se rencontrent. Alors, qu’attendons-nous pour abroger cette circulaire vieillotte, qui n’est pas une loi, et qui plombe l’existence et l’enthousiasme?

Par Karim Serraj
Le 26/05/2024 à 10h59