Vendredi 13 janvier 2023 à 11 heures du matin, les portes en fer forgé du Complexe social Dar El Kheir de Tit Mellil s’ouvrent pour nous accueillir, caméra en main. Il y a quelques années, il fallait avoir moult autorisations pour franchir des portes qui ressemblaient plus à «un cache-misère».
«L'une des premières décisions que nous avons prises lorsqu’on a repris la gestion du Complexe social Dar El Kheir de Tit Mellil a été de changer cette porte de la honte, car on a opté pour la transparence», explique Mohamed Benjelloun Belghali, président de l’association Dar El Kheir Walkarama, aux commandes du complexe depuis le 1er octobre 2019.
Avant cette date, en plus de la «transparence», la gestion du centre manquait aussi d’«humanisme». «La situation dans le centre était vraiment catastrophique tout comme les conditions de séjour qui manquaient d’humanisme. On nous traitait comme des êtes inférieurs, et même la nourriture, on nous la préparait par terre», se remémore Khalid Benkirane, l’un des plus anciens bénéficiaires de Dar El Kheir.
Comme lui, plusieurs bénéficiaires, approchés par Le360, ont décrit leur séjour dans ce complexe comme «une descente aux enfers». «Cet espace était complètement sale, l’air irrespirable à cause des odeurs nauséabondes, et la nourriture de piètre qualité ne suffisait pas pour apaiser notre faim», se rappelle Hicham Mekrizi, au complexe depuis 2014. «On nous forçait à travailler jour et nuit et on nous violentait», abonde dans le même sens Imane Mouhsine.
Interpellé par ce drame dévoilé à l’époque par la presse, feu Fadel Sekkat, cofondateur de l’Association Nour et parrain de l’association Dar El Kheir Walkarama, a chargé Mohamed Benjelloun Belghali de la gestion du complexe. «Ce fut un grand défi», lance ce dernier.
«Lorsqu’on a pris officiellement les commandes du complexe, j’ai passé quatre mois à essayer de comprendre le phénomène de Tit Mellil. Dans ce centre social, on trouve sept catégories des plus misérables de la société, des personnes âgées abandonnées, des mendiants, des sans-abri, des anciens prisonniers, des femmes en situation difficile, ainsi que des enfants trisomiques. Pourtant, la loi 14-05 appelle à la spécialisation des centres sociaux», souligne le président de Dar El Kheir Walkarama.
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Premier chantier: les infrastructuresSis à Tit Mellil, à la sortie de Casablanca, le complexe social Dar El Kheir, le plus grand centre social au Maroc, s'étend sur 12 hectares et dispose d’une capacité de 850 lits.
«Les 11 pavillons qui composent le complexe ne disposaient pas du minimum requis pour assurer la prise en charge des bénéficiaires. Les bâtiments étaient en grande partie délabrés, le système des égouts bouché en l’absence de fosses septiques, et l’eau potable n’était disponible que pour les administrateurs, laissant l’eau des puits non filtrée aux bénéficiaires, qui souffraient tout le temps de gastrite et d’autres maladies», se rappelle Benjelloun Belghali.
Aujourd’hui, la verdure est de plus en plus présente pour embellir cet espace jadis «asphyxiant». Les bâtiments ont quasiment tous pris un coup de neuf. «Nous avons établi un plan d’action dont l'un des points essentiels concernait la réhabilitation des bâtiments existants. Nous avons aussi construit de nouveaux bâtiments pour augmenter notre capacité d’accueil à 1.200 lits et améliorer la qualité des services offerts aux bénéficiaires», se félicite le responsable, précisant que le budget consacré au complexe est passé de 10 millions de dirhams à 20 millions de dirhams par an.
Côté hygiène, les nouveaux dirigeants ont installé une nouvelle canalisation pour les eaux usées, plusieurs stations de filtration des eaux de puits, ainsi qu’un nouveau bain traditionnel consacré aux femmes qui s’ajoute à un premier complètement rénové. «Nous pouvons désormais nous promener dans les allées du complexe, ainsi que dans les couloirs, profiter de la verdure et de l’air sain. Cela était quasiment impossible auparavant», affirme Imane Mouhsine, bénéficiaire du complexe.
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Une prise en charge médicale «holistique»Dar El Kheir a été souvent décrit comme «un mouroir aux portes de Casablanca». Et pour cause: le nombre très élevé de décès enregistrés par an. «On déplorait en moyenne 100 décès par an. Durant l’année 2022, nous avons enregistré 18 décès, tous concernant des personnes âgées souffrant de comorbidité», explique Omar Oued, chef des soins.
La réduction du taux de mortalité dans le complexe est le résultat d'«une meilleure prise en charge médicale, le recrutement d'un personnel médical qualifié et la mise en place d’un circuit de prise en charge avant l’admission de nouveaux bénéficiaires», note ce soignant, qui précise que «les personnes dont l’état de santé nécessite une hospitalisation ne sont admises au niveau du complexe qu’après stabilisation de leur état».
Le complexe s’est notamment doté d’une nouvelle unité de soins, dont deux salles d’hospitalisation pour les cas nécessitant une surveillance médicale, une salle de kinésithérapie et une autre de médecine dentaire. «Cette nouvelle unité a été totalement financée par feu Fadel Sekkat», fait savoir Mohamed Benjelloun Belghali.
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L’alimentation, une autre prioritéRencontré près de la cuisine du complexe, Hicham Mekrizi, l’un des bénéficiaires, marmonne: «Avant, nous ne mangions de dessert que quand un bienfaiteur en ramenait en très grande quantité. Aujourd’hui, on nous en sert à chaque repas.»
«Le budget consacré à l’alimentation ne dépassait pas 12 dirhams par jour par bénéficiaire, nous avons donc décidé de quadrupler ce budget pour répondre du mieux qu’on peut aux besoins alimentaires des bénéficiaires», explique Benjelloun Belghali.
Dans ce cadre, l’association Dar El Kheir Walkarama a doté le complexe d’une cuisine qui peut servir «1.500 plats par repas» et d’une pâtisserie qui prépare «3.500 pains par jour», fait savoir son président. «Les plats préparés prennent en considération les besoins alimentaires ainsi que le régime suivi par chaque bénéficiaire. Les menus sont fixés, de manière hebdomadaire, par une commission composée de représentants de l’administration et des bénéficiaires.»
Renforcement de la sécuritéDar El Kheir était aussi connu pour être un lieu de «toxicomanie» et de «prostitution». «Les employés quittaient le complexe vendredi à 16h30 pour ne revenir que lundi à 8 heures. Entre-temps, en l’absence de surveillance, les bénéficiaires étaient livrés à eux-mêmes. Consommation de drogues, prostitution, viol et vol… étaient donc des faits courants», se rappelle le président de l’association.
«La sécurité est formidable et les caméras sont partout. Dieu merci, on n’est plus agressé ni harcelé comme avant», s’exprime Imane Mouhsine, bénéficiaire.
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Le renforcement de la sécurité dans le complexe faisait aussi partie du plan d’action de l’association. «Nous avons prêté une attention particulière à la sécurité des bénéficiaires. Nous avons ainsi élevé les murs de 1,5 mètre à 3 mètres pour empêcher l’accès au niveau du centre des drogues et autres produits», explique Mohamed Benjelloun Belghali.
«Nous avons recruté une équipe de sécurité de 12 personnes qui surveillent le centre 24 h/24. Nous avons aussi doté le complexe de 36 caméras de surveillance pour veiller à la sécurité des bénéficiaires. Aussi, nous avons entouré les pavillons des femmes d’un mur esthétique pour garder leur intimité», détaille le président de l’association.
Cap sur la réinsertionL’objectif d’un établissement de protection sociale, en plus de garantir une meilleure prise en charge de ses bénéficiaires, de permettre leur réinsertion dans la société. Cela fait partie des missions que s’assigne l’association en charge de la gestion de Dar El Kheir.
«Sur les 550 personnes qu’abrite le centre, nous comptons 100 jeunes aptes à travailler. En plus des efforts déployés par nos assistantes sociales pour les réintégrer dans leurs familles, nous les formons notamment en coiffure, menuiserie et mécanique», souligne Mohamed Benjelloun Belghali.