En 2012, Amina Filali, adolescente de 16 ans, mettait fin à ses jours après avoir été forcée d’épouser son violeur. Sa mort, brutale, avait suscité une indignation telle au sein de la société marocaine, que la justice, confrontée à ses limites, avait accepté deux ans plus tard de revoir sa copie. La mort d’Amina Filali, aussi dramatique fût-elle, allait permettre d’abroger l’article 475 du code pénal, qui permettait à un violeur d’épouser sa victime afin d’échapper à la prison. Un arrangement pour lequel certaines familles préféraient opter afin de ne pas perdre leur dignité, quitte à faire vivre un enfer à leur fille.
Depuis la mort d’Amina Filali, onze années sont passées. La loi a changé, certes, mais aujourd’hui, un autre drame, celui vécu par Imane, à Taza, nous rappelle aux défaillances de notre justice. Violée par un homme, tombée enceinte suite à son agression sexuelle, cette jeune femme a été contrainte d’épouser son violeur afin de pouvoir faire reconnaitre son enfant par le père. Mais le mariage ne peut effacer une histoire qui a débuté sous la contrainte et dans la violence. Sans surprise, le calvaire d’Imane s’est poursuivi dans le cadre du mariage. Elle a pourtant eu le courage de demander le divorce et l’a obtenu. Mais si la loi peut faire et défaire des unions, on ne se défait pas pour autant de l’autre, d’autant quand on partage un enfant avec lui. Le divorce n’a donc pas sauvé Imane, confrontée à la violence de son ex-mari en pleine rue… 130 points de suture au visage. L’homme l’a défigurée à coups de couteau.
Derrière le calvaire vécu par Imane se profilent l’ombre encore trop imposante des manquements de notre code pénal, et l’injustice d’articles de lois qui ne protègent pas les femmes, au sein d’une société qui ne les épargne pas non plus. Certes, l’article 475 a été abrogé– et c’est une sacrée victoire– mais d’autres lois qui persistent exposent les femmes aux mêmes violences.
Ne plus permettre à un violeur d’épouser sa victime pour échapper à la prison est une chose, mais ne pas permettre à la victime d’avorter quand elle tombe enceinte de son agresseur en est une autre. Cela revient à la condamner à vivre un calvaire toute sa vie durant. Face à cette situation sans issue, nombreuses sont celles qui recourent à l’avortement clandestin au péril de leur vie quand d’autres mettent fin à leurs jours.
Et si d’aventure une femme est contrainte de garder cet enfant né d’une agression, ne pas lui permettre de faire reconnaitre l’enfant par le géniteur en dehors des liens du mariage, c’est l’exposer à la précarité, à la violence et à l’injustice. L’exemple d’Imane illustre parfaitement ce cas de figure. Autrement dit, pour éviter à son enfant une vie de paria et une étiquette indélébile de «ould El Hram» collée sur son front toute sa vie durant, il conviendra, sous la pression familiale, d’épouser l’homme responsable de ce drame.
Chaque année, des agressions de ce type surviennent au Maroc et ailleurs, pas besoin d’être féministes pour se sentir indignés, ni d’ailleurs pour aboutir au constat que les femmes sont les premières victimes de la violence masculine. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de féminicide et non d’homicide, en ce que ce terme implique la discrimination à l’égard des femmes et des filles, les rapports de force inégaux, les stéréotypes de genre ou les normes sociales préjudiciables.
À travers l’histoire d’Imane et de tant d’autres femmes sujettes aux violences, s’impose l’urgence de changer l’esprit de la loi. Se contenter d’abroger des articles de lois par à-coups, sous la pression de la rue, après un drame de trop, n’est pas suffisant. Car si on prend véritablement conscience de l’importance de garantir la sécurité des femmes, il convient dans ce cas-là de réformer le code pénal et la moudawana dans le respect de cette prise de conscience. On ne peut continuer à ménager la chèvre et le chou en modifiant certains articles problématiques, tout en préservant d’autres qui œuvrent à l’encontre de toute avancée.
C’est à l’esprit de la loi qu’il convient aujourd’hui de se confronter car sans cela, comment changer les façons de penser au sein d’une société habituée aux petits arrangements pour étouffer les scandales? Comment protéger les femmes de la pression de leur entourage, de la violence à laquelle elles peuvent être exposées si l’esprit de la loi peut être soumis à plusieurs lectures? Comment lui reconnaitre les mêmes droits qu’aux hommes, quand on ne lui reconnait pas même le droit à disposer de son corps pour décider de poursuivre ou pas une grossesse non désirée? Comment prétendre assurer la protection d’une femme quand on ne lui donne pas les mêmes armes qu’à un homme pour se défendre, en l’occurrence, en lui imposant d’accoucher d’un enfant issu d’un viol et en épargnant au père toute responsabilité liée à cet enfant?







