Copropriété: où en est le Maroc?

De gauche à droite: Mohammed El Ouagari, enseignant universitaire, Tarik Zniber, directeur général de Raha Syndic, Gilles Frémont, président de l’ANGC et Dalila Ennaciri, présidente de l’AMCOP, lors d'une table ronde sur la copropriété organisée à Casablanca, le 16 mai 2025. (A.Gadrouz/Le360)

Le 21/05/2025 à 20h18

VidéoAlors que les copropriétés se multiplient au Maroc, la profession de syndic reste encore peu structurée et mal appréciée. À Casablanca, une table ronde réunissant professionnels marocains et français a permis de dresser un état des lieux du métier et de proposer des pistes pour renforcer son encadrement. Objectif: professionnaliser un secteur clé de la vie urbaine, souvent confronté à des dérives faute de réglementation stricte.

Casablanca a récemment accueilli une table ronde inédite sur la copropriété, réunissant professionnels marocains et français du secteur. Objectif: croiser les regards sur les enjeux du métier de syndic, ses défis réglementaires et ses perspectives d’évolution. Une rencontre marquée par la volonté de structurer une profession encore peu encadrée au Maroc, malgré son rôle central dans le bon fonctionnement des ensembles immobiliers.

De nombreux immeubles fonctionnent sans syndic déclaré ou avec des gestionnaires improvisés, souvent choisis parmi les copropriétaires eux-mêmes, sans formation juridique ni expérience en gestion collective. Cette situation ouvre la voie à des conflits récurrents entre voisins, des impayés chroniques, voire à une dégradation accélérée des bâtiments. À cela s’ajoute le manque de contrôle des autorités locales, qui peinent à faire respecter les obligations légales de désignation et de tenue d’assemblées générales.

Au-delà des conflits de voisinage et des tensions internes aux immeubles, l’absence d’une gestion structurée et professionnelle de la copropriété a des répercussions à l’échelle urbaine. Des quartiers entiers voient leur attractivité diminuer à mesure que les bâtiments se dégradent faute d’entretien ou de travaux de réhabilitation coordonnés. Cela affecte non seulement la qualité de vie des résidents, mais aussi la valeur foncière des biens immobiliers, fragilisant l’investissement dans le logement collectif.

«Les problématiques sont les mêmes», affirme Tarik Zniber, directeur général de la société Raha Syndic, à l’initiative de l’événement. «Que ce soit au Maroc ou en France, nous faisons face aux mêmes défis de gestion, de communication, de médiation avec les copropriétaires.» Ce qui change, ce sont les cadres législatifs et la reconnaissance du métier.

Une même réalité

C’est justement dans ce cadre d’échange d’expériences que Gilles Frémont, syndic parisien et président de l’Association nationale des gestionnaires de copropriété (ANGC), a été invité. Il plaide pour un renforcement de la pédagogie autour du métier: «Le syndic souffre d’un déficit d’image. Il faut faire connaître ses missions réelles, sa technicité, et attirer de nouveaux talents.»

En France, la profession est ancienne et codifiée. La loi du 10 juillet 1965 encadre la copropriété et l’exercice du métier de syndic est conditionné par l’obtention d’une carte professionnelle. «Ce métier s’est institutionnalisé, mais il cherche encore sa reconnaissance sociologique, comme la détiennent les avocats ou les médecins», explique Gilles Frémont. Pour lui, la création de l’ANGC répondait à un besoin: promouvoir, structurer, donner une voix à une profession souvent incomprise, parfois critiquée.

Une réglementation embryonnaire

À l’inverse, le Maroc ne dispose pas encore de cette structure. La loi 18-00 sur la copropriété, entrée en vigueur en 2002 puis amendée en 2016, a certes posé un premier cadre. Mais pour Dalila Ennaciri, présidente de l’Association marocaine de la copropriété (AMCOP), cela reste insuffisant: «Aujourd’hui, n’importe qui peut créer une société de syndic. Il n’y a pas d’exigence de diplôme, pas de carte professionnelle, ni de garanties solides en cas de litige. C’est une aberration pour un métier qui manipule des fonds et engage la sécurité des habitants.» Certaines copropriétés marocaines gèrent jusqu’à 25 millions de dirhams de budget annuel, rappelle-t-elle.

Les intervenants s’accordent à dire qu’il est urgent de professionnaliser le métier de syndic au Maroc. Dalila Ennaciri plaide pour trois barrières indispensables: un diplôme minimum, une spécialisation mono-activité (le syndic ne devrait pas être en même temps gardiennage ou agence locative) et une carte professionnelle avec possibilité de sanctions. «Il faut pouvoir retirer le droit d’exercer à un professionnel malveillant», insiste-t-elle.

Le métier de syndic ne se résume pas à la collecte de charges. Il exige une compétence en gestion technique, en facility management, en droit, en comptabilité et en communication digitale. «Il faut pouvoir gérer des équipements complexes, suivre des prestataires, tenir une comptabilité précise et donner accès à l’information aux copropriétaires via des outils numériques», souligne Dalila Ennaciri.

La loi encadre, mais ne suffit pas

L’article 26 de la loi marocaine définit les missions du syndic: exécution des décisions de l’assemblée générale, administration de l’immeuble, tenue de la comptabilité, recouvrement des charges, représentation du syndicat en justice, etc. Mais comme l’a rappelé Mohammed El Ouagari, enseignant universitaire en droit immobilier invité à la table ronde, ces missions supposent «des compétences précises et une responsabilité forte, qui aujourd’hui ne sont ni garanties ni contrôlées».

Face à ces enjeux, la professionnalisation du métier de syndic est plus que jamais nécessaire. Or, le Maroc ne dispose à ce jour d’aucune filière académique ou formation certifiée consacrée à la gestion de copropriété. Les rares initiatives associatives mises en place jusqu’ici ont pour la plupart été abandonnées, faute de moyens ou d’accompagnement. Cette absence nuit à la reconnaissance du métier et décourage les vocations, dans un contexte où le besoin est pourtant grandissant. Une réglementation claire, accompagnée de programmes de formation accessibles, pourrait structurer le secteur et ouvrir la voie à une nouvelle génération de gestionnaires qualifiés, capables d’accompagner la transformation urbaine du pays.

Ce dialogue entre professionnels marocains et français ouvre des perspectives. Gilles Frémont conclut avec optimisme: «Il faut créer des ponts, des échanges de bonnes pratiques. Pourquoi ne pas imaginer à l’avenir un ordre professionnel du syndic au Maroc, ou un cadre inspiré de celui que nous avons en France?»

Une chose est sûre: la profession de syndic, encore méconnue, mérite d’être renforcée, tant pour sécuriser les copropriétés que pour mieux valoriser un métier exigeant et central dans la vie urbaine contemporaine.

Par Camilia Serraj et Said Bouchrit
Le 21/05/2025 à 20h18