Chômage: un silence coupable

Des migrants marocains glissent à travers une clôture frontalière dans la ville de Fnideq, dans le nord du pays, pour tenter de traverser la frontière entre le Maroc et l'enclave nord-africaine de Sebta, en Espagne, le 18 mai 2021.
	 

Des jeunes glissent à travers une clôture dans la ville de Fnideq pour tenter de traverser vers le préside occupé de Sebta.. AFP / FADEL SENNA

TribuneFace à l’appel inédit à une tentative d’émigration collective, le 15 septembre, en direction de Sebta, Jamal Belahrach, spécialiste de référence en capital humain, politique de l’emploi et conduite de changement, alerte sur le chômage devenu un enjeu de sécurité nationale. Il précise que «gouvernement, partis politiques, syndicats et entreprises partagent la responsabilité de bâtir une digue durable contre ce fléau pour les générations futures».

Le 16/09/2024 à 14h14

A chaque livraison des chiffres du chômage du HCP, les communiqués de presse sont repris, font un petit tour, puis on oublie, jusqu’à la prochaine livraison ou l’auto-saisine.

Pendant ce temps, le rang des chômeurs s’amplifie de jour en jour. Les femmes, qui représentent la moitié de notre communauté d’êtres vivants, ont un taux d’activité qui ne dépasse pas 18%. Les NEET (jeunes sans emploi) sont devenus une marque sans attribut, totalement invisibilisés. Nos jeunes diplômés perdent leur boussole et leurs rêves tandis qu’une partie de nos enfants continuent d’embrasser le rêve de traverser au péril de leur vie la Méditerranée.

Notre économie peut paraître dynamique mais ne crée que trop peu d’emplois. En dehors de notre stock actuel, plus de 200 000 diplômés arrivent annuellement sur le marché du travail, ajoutons les 400 000 décrocheurs scolaires annuels. Face à ces chiffres, peut-on continuer à se bander les yeux et faire comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes, dans le «plus beau pays du monde»?

Nous sommes collectivement responsables de cette situation et il serait injuste de pointer des responsabilités de manière unilatérale.

L’emploi ne se décrète pas mais se pense dans la durée. L’orthodoxie habituelle des faiseurs de politique économique et sociale est interrogée aujourd’hui.

Gouvernement, partis politiques, syndicats et entreprises partagent la responsabilité de bâtir une digue durable contre ce fléau pour les générations futures.

Face à la gravité de la situation, les intérêts catégoriels n’ont plus leur place dans le momentum que nous vivons. Le changement de logiciel est un impératif pour mieux comprendre le monde dans lequel nous sommes entrés et la manière dont nous devons affronter ses défis.

Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de leaders authentiques et patriotes pour relever ces défis au service de la Nation et donner du sens aux générations futures.

L’urgence d’une confiance sincère entre les parties prenantes se fait attendre et nous n’avons pas le luxe du temps pour répondre au défi du chômage. Il est devenu un enjeu de sécurité nationale.

Chaque partie prenante doit assumer la situation et jouer pleinement son rôle. Chacun doit accepter l’autre comme un partenaire et non comme un ennemi.

Seul le Maroc compte et c’est la seule boussole qui vaille.

Créer de l’emploi, c’est avoir des entreprises prospères, auxquelles on fait confiance et que l’on rend totalement responsables socialement et fiscalement pour créer les richesses nécessaires.

Réussir cela, c’est installer la confiance, créer un cadre commun et équitable, définir des règles respectées par tous.

Pour cela, l’esprit de responsabilité pour appréhender les enjeux globaux de notre pays doit être la règle tout en acceptant quatre postulats de base, préalable à la construction d’un futur économique et social durable.

En effet, l’entreprise est le seul créateur de richesse et doit être le moteur du progrès social comme le progrès social est le moteur de l’entreprise. Le dialogue social n’est pas un débat mais une exigence quotidienne pour une performance durable de l’entreprise. Enfin, l’état est un régulateur et un facilitateur.

Nous ne pouvons faire du neuf avec du vieux. Les recettes d’hier ne peuvent plus être utilisées aujourd’hui. Sortir de la zone de confort, des schémas classiques, des dogmes, des postures, de l’orthodoxie générale est un impératif de survie économique, sociale et sécuritaire.

Nous devons nous repenser. L’État de demain, régulateur, fait confiance, est plus agile et concentré sur son cœur de responsabilité, fixant un cadre juste et équilibré.

L’entreprise de demain doit avoir une raison d’être équilibrée entre la productivité du capital et son impact social et sociétal, plus compétitive, agile, innovante, responsable socialement et fiscalement.

Les syndicats de demain doivent s’impliquer dans la démocratie sociale et établir une relation équilibrée avec l’entreprise pour mieux défendre l’intérêt des salariés.

L’état d’urgence est là.

Regardons la dernière livraison du HCP: notre taux de chômage est à 13,1% au niveau national, à 16,7% en milieu urbain. Les taux de chômage sont alarmants: 36,1% pour nos jeunes de 15 à 24 ans, 19,4% pour nos diplômés et 17,7% pour les femmes.

S’agissant du taux d’activité, il est à 44,2% quand le taux d’emploi (le chiffre le plus dramatique) est à 38,4% au niveau national, à 35,3% en milieu urbain et pour les femmes à 16,5%.

Ce ne sont pas que des chiffres mais des hommes et des femmes en quête de dignité, qui cherchent à se construire une vie, un avenir dans leur pays: le Maroc.

L’absence de vraies politiques volontaristes pour l’emploi depuis des années contribue à sacrifier toute une génération.

Ce n’est plus acceptable pour un pays qui a un rendez-vous en 2030 et qui aujourd’hui, a acquis une image exceptionnelle à travers le monde et de la part des institutions internationales.

Le Maroc est attendu.

Est-ce une question d’hommes, de gouvernance, de vision, de politiques économiques ou d’instruments? La réponse est tout à la fois car la démarche est systémique.

Nous avons l’obligation de bâtir un nouveau modèle de croissance, imaginer le travail de demain, changer le rapport au travail pour les salariés, avoir une vision nouvelle de l’entrepreneuriat et de l’entreprise, accepter le rôle fondamental des partenaires sociaux, ne plus former des compétences ou des filières dont notre pays n’a plus besoin, voilà nos véritables défis pour les années à venir.

Pour cela, il faut permettre à l’entreprise, d’être plus agile, plus compétitive, avec des politiques économiques, fiscales et sociales volontaristes et équilibrées.

Notre législation du travail actuelle est caduque. La revisiter ne veut pas dire installer la précarité totale et l’insécurité pour les salariés. Il s’agit de l’alléger tout en responsabilisant davantage, voire en pénalisant encore plus fort son non-respect.

Changeons de logique: il faut faire confiance à la majorité des opérateurs économiques au lieu de verrouiller à cause d’une minorité.

En tant que citoyen, je ne peux me résoudre à la fatalité et ma conviction est que nous pouvons et devons changer de point de vue sur le sujet.

Forts de ce qui précède, acceptons que le monde a durablement changé, que nous ne pouvons et ne devons plus faire preuve d’autisme.

Acceptons de perturber nos habitudes, nos modes d’analyse, les solutions classiques et dogmatiques pour reconsidérer le Maroc de demain.

Nos croyances limitantes obèrent un futur possible.

Seule une conférence sociale coorganisée avec l’ensemble des parties prenantes permettra de déverrouiller ces croyances et de penser le futur plutôt que de le subir.

Jamal Belahrach.
Par Jamal Belahrach
Le 16/09/2024 à 14h14