Chiens et chats errants entre fermeté et compassion

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naamane Guessous.

ChroniqueUne loi récente a révélé des tensions entre protection animale, sécurité publique et solidarité humaine. Nombreux évoquent l’éthique musulmane.

Le 15/08/2025 à 10h57

Au Maroc, la question des chiens et chats errants représente un défi urbain, sanitaire et éthique. Leur prolifération est citée comme un problème de santé publique, tout en suscitant la mobilisation de citoyens attachés à la compassion.

La presse et les réseaux sociaux rapportent des drames où des chiens, en horde, s’attaquent à des personnes.

En milieu rural, les chiens ont toujours été une menace pour les passants. Les paysans les élèvent pour leur sécurité et celle du bétail. Je fréquente régulièrement la campagne et mon seul souci, lors de randonnées ou d’enquêtes sociologiques, ce sont les chiens.

Il n’est pas rare d’en voir en hordes. Mais ce n’est que ces dernières années qu’ils deviennent dangereux, car affamés. Avec la sécheresse, les ruraux peinent à les nourrir.

En période d’opulence, les chiens étaient nourris de pain ou de noukkhala (son) trempé dans lben, petit-lait. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Les chiens errants se sont multipliés en ville. Beaucoup ont été abandonnés par les anciens habitants des bidonvilles qui, occupant des appartements, ne peuvent plus les garder.

Par ailleurs, dans toutes les villes, il y a de nombreux chantiers en construction où les ouvriers s’accompagnent de chiens comme gardiens. Une fois le chantier terminé, ils les abandonnent.

Ajoutez à cela des familles qui élèvent des chiens et les abandonnent. Celles qui ont des chiennes non stérilisées jettent leurs chiots à la rue.

Et c’est ainsi que l’on peut voir ou, pire, rencontrer un ou plusieurs chiens circulant en hordes. Ils se multiplient rapidement parce que ni les femelles ni les mâles ne sont stérilisés.

Ils représentent un réel danger: des morsures mais surtout la transmission de la rage, même par la salive, dont les cas s’élèvent à près de 400 par an au Maroc. La rage, transmise par les chiens et les chats, est une malade des plus graves et des plus mortelles pour l’être humain.

Les interventions de l’État pour nettoyer les villes des chiens et chats errants scandalisent les associations de défense des animaux et tout citoyen qui aime les animaux: euthanasie dans des conditions considérées cruelles.

Beaucoup parlent d’obligation religieuse de bien traiter les animaux. Un vieil homme, commerçant, habitué à nourrir les chats de sa ruelle, scandalisé par la nouvelle loi, me dit: «Comment ne pas nourrir ces pauvres créatures de Dieu et les laisser mourir. Ce serait un péché. Moi, je les nourris même si on me met en prison.»

Effectivement, dans le Coran, les animaux occupent une place importante comme créatures de Dieu, dignes de respect.

Sourate Al-Anʿâm (bestiaux: 38): « Il n’est point d’êtres qui se déplacent sur terre, ni d’oiseaux qui volent de leurs ailes, qui ne forment des communautés comme vous. Nous n’avons rien omis dans le Livre. Puis, vers leur Seigneur ils seront rassemblés». Ce verset met sur un pied d’égalité les sociétés humaines et les groupes d’animaux.

«La récente loi marocaine stipule que seule une structure reconnue peut agir, écartant les bonnes volontés individuelles»

—  Soumaya Naamane Guessous

Sourate An-Nahl, (les abeilles: 5-8), mentionne les animaux domestiques comme un bienfait, source de chaleur, de nourriture et de transport, invitant ainsi à la gratitude et à la bonne gestion de ces dons. Sourate Ennoure (la lumière: 45) rappelle que Dieu a créé toutes les créatures à partir de l’eau, ce qui souligne leur origine commune avec les humains.

Selon El Bokhari, le Prophète a indiqué qu’une femme est entrée en Enfer pour avoir enfermé une chatte sans la nourrir, ni la laisser chercher sa nourriture. Et qu’un homme a obtenu le pardon de Dieu pour ses péchés pour avoir donné à boire à un chien assoiffé.

des sources racontent qu’une chatte s’est blottie contre le Prophète et a mis bas. Par compassion, il découpa la partie du tissu où reposaient les chatons pour ne pas les déranger.

Ainsi, pour de très nombreuses personnes, le Prophète aimait les chats, donc il faut les soigner. Al ajr, bonne action que recherchent ces nombreuses personnes qui nourrissent les chats dans la rue.

Les chiens, par contre, n’ont pas cette compassion car selon Boukhari, le Prophète a dit: «La purification du récipient de l’un de vous si un chien y a bu consiste à le laver sept fois…» Donc beaucoup considèrent que le chien est impur, même si de nombreux oulémas affirment que seule la salive est impure et non le chien.

L’éthique musulmane considère que les humains sont des khalîfa (gérants) sur terre (Sourate Al Anâme (les bestiaux): 165), responsables de toute la création, y compris des animaux. Maltraiter un animal est un manquement à cette charge.

Mais la récente loi marocaine stipule que seule une structure reconnue peut agir, écartant les bonnes volontés individuelles.

Dorénavant, il est strictement interdit de soigner, d’héberger ou de nourrir un animal errant, en dehors d’une structure agréée. Sinon, on est soumis à une pénalité allant jusqu’à 3.000 DH. Jusqu’à 15.000 DH pour les propriétaires d’animaux non déclarés ou sans carnet de santé à jour.

Les autorités locales et nationales s’activent pour éradiquer le phénomène des animaux errants. Elles ont mis en place des initiatives, dont le déploiement du modèle TNR: capture, stérilisation, vaccination, relâchement et identification des animaux. Création de centres de soins autorisés et partenariat possible avec des associations reconnues…

Mais la loi a soulevé une vague d’indignation, qualifiée de criminalisation de la compassion.

Ce phénomène doit être éradiqué et l’État s’y attelle. Mais l’enjeu est de trouver un juste équilibre: protéger la santé publique et la sécurité citoyenne, mais encadrer la protection animale sans étouffer la compassion citoyenne.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 15/08/2025 à 10h57