Ce que veulent les MRE

Fouad Laroui.

ChroniqueJ’ai côtoyé assez de compatriotes en exil pour savoir deux ou trois choses que je tiens à la disposition de la future instance qui s’occupera de nous.

Le 08/01/2025 à 11h07

Je n’ai pas la prétention de savoir ce que veulent les MRE. (Il faut toujours se méfier de ce petit pronom personnel, les, qui embrasse trop et mal étreint.) Des MRE, on en trouve dans le monde entier, ils sont de tous âges et de toutes conditions: comment faire une liste exhaustive de leurs desiderata?

Cela dit, j’en suis un, de MRE, et même au carré ou au cube, ayant résidé dans quatre pays étrangers (France, Belgique, Angleterre, Pays-Bas), et j’ai côtoyé assez de compatriotes en exil pour savoir deux ou trois choses que je tiens à la disposition de la future instance qui s’occupera de nous. Voici une liste non exhaustive de souhaits:

1. Adieu au sous-développement. Dit de façon plus positive, le MRE veut être fier de son pays. Soyons équitables: les réalisations ne manquent pas, depuis deux décennies. Chaque fois que nous rentrons au pays, nous en voyons de nouvelles. Des autoroutes, des voies ferrées -cette fierté, la première fois qu’on voit filer un TGV aux couleurs rouge et verte quelque part entre Tanger et Kénitra…-, un joli pont à haubans (ma spécialité quand j’étudiais l’ingénierie civile), les tours de CFC… Et il y a tout ce qu’on ne voit pas: je me souviens de l’expression ravie d’une Marocaine vivant à West Hollywood (ça ne s’invente pas…) lorsqu’elle découvrit avec moi et une délégation anglaise le Midparc de Nouaceur, où l’on fabrique des fuselages d’avion. Cet effort de développement devrait être maintenu et renforcé avec, entre autres, une extension vers la propreté des villes. (El Jadida et Azemmour, toutes deux chères à mon cœur, sont d’une saleté repoussante…)

2. Adieu à la corruption. Je suis effaré par le nombre de notaires, de présidents de commune ou de parlementaires qui sont en prison. D’un côté, c’est une bonne chose: cela prouve qu’il n’y a pas d’impunité; mais de l’autre, c’est désespérant. Est-ce que ces types-là et leurs congénères n’ont vraiment aucune notion du service public? En tout cas, je connais maints MRE qui hésitent à investir par écœurement devant tant de cas de corruption ou de malversations.

«L’esprit mouqata’a, cette attitude commune à la plupart de ceux qui détiennent ne fut-ce qu’une once de pouvoir de bloquer, d’instinct, toute initiative chez autrui.»

3. Adieu à l’esprit mouqata’a. Nos plus jeunes lecteurs ne le savent peut-être pas, mais il fut un temps, au siècle dernier, où les mouqata’a-s étaient le repaire de types chafouins, méchants, le regard fuyant, hostiles par principe, dont le seul objectif semblait être de pourrir la vie du citoyen. Dès qu’on apparaissait dans leur champ de vision, ils aboyaient: r’ja’ ghedda! (Reviens demain!); ou bien: l’qaïd ma kaynch! (le caïd n’est pas là!); ou encore le surréaliste: jib chahadat l’hayat! (Prouve-moi que t’es vivant!) J’ai connu, dans ma jeunesse, ce huitième cercle de l’enfer, avec ses simoniaques dans la troisième fosse. J’en tremble encore.

S’il y a eu un certain progrès au niveau des mouqata’a-s proprement dites -pourquoi le nier?-, l’esprit mouqata’a, lui, ne semble pas avoir disparu; il s’agit de cette attitude commune à la plupart de ceux qui détiennent ne fut-ce qu’une once de pouvoir de bloquer, d’instinct, toute initiative chez autrui. Vous débarquez dans leur bureau avec un projet d’avenir, cohérent, bien ficelé et qui sert l’intérêt général -mais vous avez besoin de leur imprimatur. Une formalité? Rêve toujours, camarade.

L’esprit mouqata’a règne. Le gars te fixe d’un regard soupçonneux puis il examine attentivement ton projet, le regard torve, la lippe méprisante -avec une seule obsession: comment puis-je te bloquer?

Triomphant:

- Tu n’as pas rempli à temps le formulaire A-28-ZX-34(bis)!

- Mais ce n’était pas indiqué sur le site du ministère?

- J’naffou le site. C’est moi qui te le dis: le formulaire A-28-ZX-34(bis).

Il nous faut éradiquer l’esprit mouqata’a si nous voulons avancer -et si nous voulons que nos MRE reviennent investir dans le pays de leurs aïeux.

J’arrête ici et je vous invite, chers lecteurs, à compléter cette liste, que vous soyez MRE ou non (nobody’s perfect).

PS: Après avoir écrit ce texte, j’ai pris un café avec une collègue tout juste rentrée de New York où elle a fait une brillante carrière pendant deux décennies. Elle m’a parlé d’une autre question qui turlupine certains MRE: 4. L’équivalence des diplômes. C’est un problème connu donc j’arrête vraiment ici. À vous de jouer.

Par Fouad Laroui
Le 08/01/2025 à 11h07