Ahmed n’est qu’un exemple parmi plus de 600 bénéficiaires ayant franchi les portes de ce centre spécialisé, affilié au CHU Ibn Rochd. Ouvert depuis un peu plus de deux ans, l’établissement est devenu une véritable bouffée d’espoir pour de nombreuses personnes brisées par la stigmatisation du trouble psychique et condamnées à l’ombre pendant des années.
Le tournant de l’histoire d’Ahmed commence lorsque son psychiatre lui recommande d’intégrer le Centre de réhabilitation psychosociale de Casablanca. Il y suit un programme de réhabilitation complet incluant un accompagnement psychologique intensif et une formation professionnelle en coiffure. Une double démarche qui lui permet de surmonter les obstacles qui l’empêchaient, jusque-là, de s’insérer dans la société.
Pendant deux ans, Ahmed suit un parcours encadré, composé de séances thérapeutiques, d’ateliers de formation, d’activités physiques et d’un suivi individualisé. Progressivement, il se découvre une passion pour la coiffure dans l’atelier dédié. Une activité qui devient pour lui non seulement un métier, mais surtout un levier de confiance, de stabilité et de reconnaissance.
«C’est le métier que je veux exercer pour gagner ma vie. Ça me fait du bien. C’est incroyable comme la coiffure est liée à l’état psychologique. Je me sens à l’aise, apaisé», confie-t-il à notre micro.
Aujourd’hui, Ahmed est prêt à ouvrir son propre salon. Il affiche une fierté non dissimulée: «Je pensais que la maladie mentale était une condamnation à vie à l’isolement, mais ici, j’ai appris que j’avais toute ma place au sein de cette communauté.»
Ateliers variés et perspectives renouvelées
Le centre accueille des personnes atteintes de pathologies mentales chroniques telles que la schizophrénie, les troubles bipolaires ou l’autisme. L’approche du lieu repose sur une vision humaine, globale, qui vise à reconstruire la confiance des patients tout en les préparant à une réinsertion socioprofessionnelle.
«Nous partons d’une idée simple mais essentielle: tout individu est capable d’évolution», explique la docteure Salma Raoui, psychiatre et responsable du centre. «Notre travail consiste à développer les capacités préservées de chacun, à les utiliser pour compenser les déficits et créer de nouvelles perspectives de vie.»
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Le centre propose aujourd’hui une série d’ateliers enrichis, allant au-delà du simple accompagnement médical.
Parmi les initiatives phares du centre figure le programme “Profamille”, conçu à l’intention des proches des patients. Ce dispositif vise à les sensibiliser aux réalités des troubles psychiques, tout en leur offrant des outils concrets pour mieux interagir avec leurs proches malades et soutenir leur parcours de rétablissement. L’objectif est de briser l’incompréhension souvent à l’origine de tensions familiales, de rétablir un climat de dialogue et d’accompagnement bienveillant.
Un autre axe essentiel du travail mené par le centre concerne la lutte contre l’autostigmatisation. De nombreux patients vivent avec un fort sentiment de honte ou d’auto-dépréciation, conséquences directes du regard social porté sur la maladie mentale. Des ateliers spécifiques sont organisés pour les aider à se réconcilier avec eux-mêmes, à retrouver une estime de soi et à reconstruire une identité non réduite à la pathologie.
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La psychomotricité occupe également une place importante dans le processus thérapeutique. Les troubles mentaux s’accompagnent fréquemment de difficultés corporelles: mouvements altérés, posture figée, difficultés à exprimer ses émotions par le corps. Une spécialiste intervient auprès des patients pour travailler sur la fluidité, la coordination et l’expression corporelle, contribuant ainsi à restaurer la confiance en soi à travers le mouvement.
Le centre a aussi intégré dans son dispositif le rôle innovant du pair-aidant. Il s’agit d’un ancien patient, formé à l’étranger, qui, après avoir surmonté ses propres troubles, accompagne désormais d’autres bénéficiaires. Par son expérience vécue, il incarne une figure d’espoir et joue un rôle de médiateur précieux entre les soignants et les patients.
Enfin, les sorties thérapeutiques constituent l’une des approches les plus novatrices du centre. Organisées dans des espaces publics sous encadrement professionnel, ces excursions visent à rompre l’isolement et la peur de l’extérieur. Elles permettent aux patients de se réhabituer progressivement à la vie en société, en reprenant confiance dans leur capacité à occuper l’espace public sans crainte ni rejet.
Parcours personnalisé
La sélection des ateliers pour chaque bénéficiaire repose sur une évaluation médicale approfondie. Le parcours commence par un diagnostic global impliquant psychiatre, infirmier, psychologue, psychomotricienne… Chaque professionnel évalue les fonctions cognitives, émotionnelles, sociales et physiques du patient.
«Nous laissons aussi le patient explorer les différents ateliers, afin qu’il puisse lui-même identifier ce qui l’attire», précise Salma Raoui. «La décision est donc toujours partagée entre l’équipe soignante et le patient.»
Une infrastructure au service de l’inclusion
Le centre s’étend sur 2.100m² et dispose de plusieurs espaces adaptés: ateliers de coiffure, cuisine, informatique, théâtre, art plastique, musique, relaxation… Des lieux conçus pour stimuler la créativité, l’expression et le lien social.
Dans l’atelier de musique, où nous retrouvons Ahmed, l’ambiance est festive. Il insiste pour monter à nouveau sur scène, chanter, danser et célébrer sa transformation. Contrairement à d’autres patients qui préfèrent rester anonymes, il tient à apparaître face caméra, signe qu’il a tourné la page du repli sur soi. «Aujourd’hui, je suis prêt à vivre, pleinement», dit-il, le regard rieur.
En brisant les chaînes de la stigmatisation, le Centre de réhabilitation psychosociale de Casablanca ne se contente pas de soigner. Il restaure une dignité, rallume une lumière intérieure et remet ses bénéficiaires sur le chemin d’une vie possible avec un métier, des relations et une place retrouvée dans la société.








