The Economist: pourquoi «l'affrontement entre l'Algérie et le Maroc pourrait dégénérer en guerre»

Lors d'un événement réunissant de hauts responsables militaires algériens. Photo d'illustration.

Lors d'un événement réunissant de hauts responsables militaires algériens. Photo d'illustration. . DR

Dans sa dernière livraison, parue hier, samedi 14 mai 2022, The Economist explique que «des Algériens bien informés affirment que l'affrontement avec leur voisin pourrait dégénérer en guerre».

Le 15/05/2022 à 08h52

«Les deux parties semblent prêtes à entrer en conflit», indique l'auteur de l'article expliquant que l'Algérie et le Maroc ont les deuxième et troisième plus grandes armées d'Afrique.

Avec un budget de défense de 9,1 milliards de dollars, l'Algérie est le sixième plus grand importateur d'armes au monde. Le Maroc a dépensé 5,4 milliards de dollars pour ses forces armées l'année dernière, soit une augmentation d'environ un tiers par rapport à 2019. Il se classe dans le top 10 mondial pour la part des dépenses militaires dans le PIB; celle de l'Algérie est de 5,6% contre 4,2% pour le Maroc.

«Les Algériens semblent moins enclins au conflit que leurs dirigeants», nuance toutefois la publication, notant que les plus jeunes préfèrent peut-être que leur gouvernement se concentre sur l'emploi et l'économie plutôt que de brandir des sabres contre son voisin.

«Les Européens, eux aussi, se méfient des événements qui se déroulent de l'autre côté de la Méditerranée». L'année dernière, l'Espagne a importé plus de 40% de son gaz naturel d'Algérie. Une rupture frapperait fort, au moment où les prix de l'énergie sont déjà très élevés. La guerre en Ukraine a incité l'Espagne à renoncer au gaz russe. Elle ne peut pas se permettre de perdre un autre fournisseur.

«En plus de cela, un conflit entre les Arabes voisins pourrait signifier une vague de migrants. En bref, personne n'y gagnerait», explique l'auteur de cet article.

Pourtant, «l'heure devrait être à l'optimisme pour le dixième plus grand producteur de gaz naturel au monde». L'invasion de l'Ukraine par la Russie a poussé les gouvernements européens à se précipiter pour trouver de nouveaux approvisionnements, sachant que l'Algérie envoie plus de 80% de ses exportations de gaz en Europe. La majeure partie étant acheminée vers l'Espagne et l'Italie.

En tant que troisième fournisseur du continent, l'Algérie devrait investir dans de nouvelles capacités pour produire et transporter davantage de gaz. Au lieu de cela, elle menace d'en envoyer moins.

«Fanfaronnade»L'année dernière, l'Algérie a fermé un oléoduc reliant l'Espagne au Maroc. Cette fermeture était un acte de dépit à l'égard du Royaume, qui prélève 7% du débit à titre de redevance et obtient la quasi-totalité de son gaz naturel de l'Algérie.

L'Espagne continue de recevoir les exportations algériennes par un gazoduc sous-marin plus petit qui contourne le Maroc. Toutefois, le mois dernier, l'Algérie a menacé de fermer ce gazoduc quand le Maroc a demandé à l'Espagne de lui envoyer du gaz en inversant le flux du gazoduc Maroc-Espagne, aujourd'hui à l'arrêt. L'Algérie a déclaré qu'elle cesserait toute exportation de gaz vers l'Espagne si elle le faisait.

«Ce n'est peut-être qu'une fanfaronnade: L'Algérie ne veut pas perdre l'argent espagnol», poursuit l'hebdomadaire, notant que quoi qu'il en soit, les propos incendiaires de l'Algérie ont beaucoup à voir avec ses problèmes de politique intérieure. Mais les menaces exacerbent la longue querelle de l'Algérie avec le Maroc.

«Des Algériens bien informés affirment que l'affrontement avec leur voisin pourrait même dégénérer en guerre», croit savoir la publication.

Les tensions entre les deux pays remontent à 1963, lorsqu'ils se sont livrés à une brève «guerre des sables» pour une bande de territoire frontalier, un an après l'indépendance de l'Algérie de la France. Depuis lors, la rivalité idéologique s'est aggravée.

Le Maroc est une monarchie conservatrice et pro-occidentale, tandis que l'Algérie était un membre éminent du Mouvement des non-alignés et un ami de l'Union soviétique. La frontière terrestre entre les deux pays est fermée depuis 1994, «pour la plus grande joie des contrebandiers et l'agacement de tous les autres».

Dans les années 1970, l'Algérie a commencé à soutenir le Front Polisario, un groupe de guérilla qui cherche à obtenir l'indépendance du «Sahara occidental», lit-on. La décision de fermer l'oléoduc est liée aux événements du «Sahara occidental», «où le Maroc a gagné du terrain tant sur le plan militaire que diplomatique», indique la publication.

Gaz: pas problème immédiat pour l'économie marocaineElle n'occasionnera pas nécessairement un problème immédiat pour l'économie marocaine, puisque environ 60% de son énergie provient du pétrole et les deux centrales au gaz ne sont allumées que pour répondre aux pics de demande.

Les responsables ont discuté de l'achat de cargaisons au Qatar, le plus grand exportateur mondial de gaz naturel liquéfié. Le Maroc a ainsi lancé des appels d'offres pour une usine de regazéification. Il s'efforce également de développer les énergies renouvelables.

Côté algérien, les griefs se sont accrus dernièrement. L'année dernière, des organisations internationales de presse ont rapporté que le Maroc avait utilisé Pegasus, un puissant outil d'espionnage fabriqué par le groupe israélien NSO, pour espionner les téléphones de quelque 6.000 Algériens, dont des politiciens et des généraux, écrit le magazine, soulignent que «le Maroc nie ces faits».

Conscient du soutien de l'Algérie au «Polisario», l'ambassadeur du Maroc à l'ONU a appelé à l'autodétermination de la Kabylie, une région «rétive» principalement berbère du nord de l'Algérie. L'Algérie a vu cela comme une menace et a même accusé le Maroc d'être responsable des incendies dévastateurs de l'été dernier.

Rallier des Algériens de plus en plus frustrés«Le roi Mohammed VI du Maroc a tenté de faire baisser la température l'année dernière, en appelant au dialogue dans son discours annuel du trône. Mais l'Algérie semble moins encline à la réconciliation», constate The Economist.

Un mouvement appelé le Hirak a mené des protestations qui ont abouti au renversement, il y a trois ans, d'Abdelaziz Bouteflika après 20 ans de pouvoir.

Les manifestants avaient espéré qu'une nouvelle génération de dirigeants émergerait. Au lieu de cela, sa chute n'a fait qu'officialiser le règne du «Pouvoir», une clique qui a dirigé le pays dans l'ombre tout au long du règne de Bouteflika.

Ils n'ont pas fait grand-chose pour réformer une économie ou lutter contre la corruption. Le chômage avoisine les 12%, et est plus élevé pour les jeunes. L'inflation a atteint 8,5 % l'année dernière. «Une crise avec le Maroc est un moyen de rallier des Algériens de plus en plus frustrés», affirme The Economist.

Par Khalil Ibrahimi
Le 15/05/2022 à 08h52