Les plumitifs de l’APS, l’agence de presse officielle algérienne, affectionnent un style tellement pompeux, ampoulé et confus qu’ils en arrivent parfois à dire le contraire de ce qu’ils voulaient dire, à insulter celui qu’ils voulaient encenser, à louanger celui qu’ils voulaient diffamer. Ils viennent d’en donner une autre illustration, atterrante ou amusante, c’est selon.
On sait que les Algériens vont retourner aux urnes trois mois plus tôt que prévu. Pourquoi? On n’en sait rien. Ni la junte militaire au pouvoir à Alger ni sa marionnette en civil n’ont daigné expliquer au vain peuple la raison de ce changement de date. L’annonce en a été faite le 21 mars à l’issue d’une réunion présidée par Tebboune, en présence de son Premier ministre, des chefs des deux Chambres du Parlement, du chef d’état-major de l’armée et du président de la Cour constitutionnelle, soit exactement ce qu’il faut de grosses légumes pour déclarer l’état de siège -autrement dit: la patrie est en danger. Rien que ça.
Très naturellement, beaucoup d’observateurs ou d’acteurs de la société civile posent la question: pourquoi cette décision? C’est là que l’inénarrable APS entre en scène, vendredi 22 mars.
Tout d’abord, elle donne une explication… qui n’en est pas une. Voici, mot à mot, ce qu’elle avance: «Cette annonce d’une élection présidentielle anticipée est le retour à la normalité après l’épisode de 2019 où la présidentielle n’avait pu être tenue dans les délais à cause du Hirak, ce qui avait forcé Abdelaziz Bouteflika à renoncer à un cinquième mandat».
Lisez, relisez cette phrase. Elle est incompréhensible. Et d’abord, elle est bancale: en quoi une «annonce» est-elle un «retour à la normalité»?
Peu importe, au fond, puisque dans le paragraphe suivant, l’APS oublie qu’on est revenu à la normalité. Elle affirme au contraire que la décision est prise à cause de circonstances anormales: «Les menaces extérieures sont telles, réelles et palpables, qu’écourter le premier mandat est une nécessité tactique. Une anticipation de turbulences programmées». Menaces extérieures, turbulences… Normal, comme on dit en Algérie.
Mais ce n’est pas tout. Ayant semé la confusion -enfin, nom d’une pipe, sommes-nous revenus à la normalité ou sommes-nous dans une crise tellement grave que l’état de siège n’est pas loin?-, s’étant contredite d’un paragraphe à l’autre, l’APS s’attaque ensuite à ceux qui cherchent à comprendre. Elle qualifie d’absurdes «les scénarios échafaudés par certaines voix habituelles faute de décoder la boîte noire présidentielle».
Là, on reste pantois. Peut-on aller aussi loin dans l’absurde? N’ayant rien expliqué, l’APS affirme qu’il y a quand même une explication: elle est dans le crâne de Tebboune, qui est une boîte noire (c’est plutôt une insulte, non?). Les «voix habituelles» (lesquelles?) perdent leur temps à chercher des raisons au changement de la date des élections. Pour trouver la vraie raison, il faut décoder la boîte noire.
Une question naïve: le président Tebboune a-t-il une langue? Sait-il parler? Si oui, pourquoi ne donne-t-il pas tout simplement, dans un langage clair et articulé, les raisons de sa décision?
C’est là qu’on se souvient d’un fait curieux que rapportent Jean-Louis Levet et Paul Tolila, les auteurs du Mal algérien (2023): au cours de leur enquête, plusieurs pontes du régime leur avaient affirmé, avec une pointe d’orgueil, que leur système était «opaque». Et ils s’en vantaient, les bougres!
Tout s’explique: un système opaque avec une boîte noire «indécodable» à sa tête, ce n’est plus un régime, c’est un tube de Johnny -noir, c’est noir- ou un tableau de Kazimir Malevich -carré noir sur fond noir. Ajoutez à cela une agence de presse qui accomplit l’exploit de se contredire sans rien dire et vous aurez un pays mené par des ganaches qui errent les yeux bandés dans un tunnel obscur.
Ainsi va, en titubant, la camarilla obscura de Abdelmadjid «Black Box» Tebboune…