Dans une interview parue ce lundi 29 novembre 2021 dans le quotidien arabophone, établi à Londres, Al Qods Al Arabi, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, est sorti de son long mutisme pour s’attaquer à nouveau au Maroc.
Si le président du Sénat algérien, Salah Goudjil, ainsi que le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, ont ouvertement qualifié le Maroc d’ennemi de l’Algérie, Lamamra n’a pas dit le contraire, mais il a introduit des nuances stylistiques qui rompent avec ses déclarations antérieures. Selon ce ministre, l’Algérie «se sent aujourd’hui comme un Etat qui fait face à l’entité sioniste –à laquelle nous envoyions nos troupes pour la combattre aux côtés de nos frères arabes–, maintenant que cette entité est à nos frontières et signe des accords militaires, sécuritaires et de renseignements avec le voisin, le frère et l’ami».
On ne peut qu’être sidéré par les épithètes dont Lamamra a qualifié le Royaume, «le voisin, le frère et l’ami», alors que ce ministre pyromane n’a eu de cesse de considérer le Maroc comme un pays ennemi depuis qu’il a été rappelé par la junte, en juillet 2021, à seule fin de porter l’hostilité diplomatique de l’Algérie contre le Maroc à son point culminant.
Lire aussi : Vidéo. Lamamra se plaint que le Maroc se soit «renforcé» en reprenant ses relations avec Israël
Comment en effet le sieur Lamamra peut-il dire que le Maroc est un pays frère et ami alors que c’est lui-même, qui a déclaré le 24 août dernier, en annonçant la rupture unilatérale des relations diplomatiques avec Rabat, qu’«il est historiquement et objectivement établi que le Royaume du Maroc n’a jamais cessé de mener des actions hostiles, inamicales et malveillantes à l’encontre de notre pays et ce, depuis l’indépendance de l’Algérie»?
Comment qualifier de frère, voisin et ami un pays que l’on accuse quotidiennement de tous les maux de l’Algérie, allant des feux de forêts, des pénuries d’eau, d’huile et de semoule, au terrorisme, et jusqu’à l’état désastreux des stades de football?
Comment peut-on refuser la main en permanence tendue d’un pays «voisin, frère et ami», et, en lieu et place, lui fermer les frontières terrestres (depuis 1994), avant de décider récemment de fermer l’espace aérien à tous ses avions, et lui couper les livraisons de gaz naturel?
Ramtane Lamamra n’a parlé du Maroc en tant que «voisin, frère et ami», que pour mieux faire passer son venin. Nostalgique du boumédiénisme, il est revenu dans son interview avec Al Qods Al Arabi aux années 1975, où, selon lui, le défunt président français, Valery Giscard d’Estaing et le secrétaire d’Etat américain de l’époque, Henry Kissinger, auraient comploté, avec le Maroc, contre l’Algérie dans le dossier du Sahara. Et d’ajouter que c’est cette même alliance qui serait encore derrière la décennie noire des années 90 en Algérie, ainsi que derrière le déclenchement du Hirak populaire en 2019.
Lire aussi : Ramtane Lamamra amplifie la mécanique de l’escalade contre le Maroc
«L’idée d’utiliser le Sahara occidental pour renforcer le Maroc et affaiblir l’Algérie existe toujours. Après le terrorisme et le Hirak populaire, on a déterré encore cette idée, croyant que l’Algérie était occupée par sa situation interne et que les Nations Unies sont sous l’influence de la France et des Etats-Unis par rapport à cette question», laisse-t-il entendre.
Pour justifier l’ingérence dans les relations maroco-israéliennes, qui ne concernent en rien l’Algérie, Lamamra se base sur un raisonnement tordu. Pour lui, l’Algérie respecte les décisions du sommet arabe de Beyrouth de 2002, qui reconnaît Israël en tant qu’Etat à côté de celui palestinien, et «ne s’immisce pas dans les affaires de ceux qui ont opté pour la normalisation avant la création de l’Etat palestinien». En d’autres termes, l’Algérie ne s’arroge pas le droit de s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats arabes, qui ont déjà normalisé leurs relations avec l’Etat hébreu, mais se permet d’agir différemment avec le Royaume, parce qu’elle serait la cible du rétablissement des relations entre Rabat et Tel-Aviv.
Cet argumentaire tortueux et pénible montre le désarroi du régime algérien qui est incohérent. Se préparant à accueillir un sommet arabe au printemps, Alger sait qu’elle ne peut pas critiquer les pays arabes qui ont déjà normalisé leurs relations avec Israël, sous peine de voir ce sommet voué à l’échec. Alors il y aurait d’un côté les bons normalisateurs (l’Egypte, la Jordanie, les Emirats, le Bahrein et le Soudan), et d’un autre côté un mauvais normalisateur: le Maroc.
En qualifiant le Maroc de «voisin», de «frère» et «d’ami», Ramtane Lamamra pense avec ces mots lénifiants ériger son pays en victime du méchant voisin de l’Ouest auprès des lecteurs arabophones d’Al Qods Al Arabi. Il pense adopter un langage convenu dans un contexte particulier. Mais il se trompe doublement. D’une part, parce que les médias arabes influents ont largement diffusé et commenté l’escalade belliqueuse de la junte contre le Royaume. D’autre part, parce que les dernières déclarations des officiels algériens apportent la preuve et les limites de l’escalade algérienne. La surenchère ainsi que leur égarement les ont visiblement conduits vers un point de non-retour auquel ils n’étaient pas préparés.