La réputation de Human Rights Watch (HRW) va-t-elle pâtir des agissements de certaines personnes qui subordonnent l’établissement des faits à des considérations personnelles? C’est à tout le moins ce que laisse croire le «communiqué détaillé» de HRW sur les événements d’Al Hoceima, publié lundi 5 septembre, et portant ce titre sensationnaliste: «Maroc: le roi ignore des preuves de violences policières». Voici un rapport supposé faire la lumière sur les cas de non respect des droits de l’Homme dans les manifestations à Al Hoceima et qui choisit, au mépris des normes, de titrer sur la personne du roi comme pour mieux vendre son contenu. Par quel subterfuge l’auteur de ce communiqué a impliqué le roi dans les événements du Hirak? En se basant sur le discours prononcé par Mohammed VI à l’occasion de la fête du Trône, le 30 juillet 2017. Le chef de l’Etat «semblait dédouaner les forces de l’ordre de toute responsabilité dans les troubles survenus à Al Hoceima, chef-lieu de la région du Rif, affirmant qu’elles avaient fait preuve de «retenue et […] d’un grand respect de la loi», écrit l’auteur du communiqué de HRW.
Le rédacteur de ce communiqué est Ahmed Reda Benchemsi, directeur de communication auprès de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. Il a fourni un rapport politique où se mêlent préjugés, règlements de compte, parti pris, subjectivité et… précipitation qui bat en brèche les normes qui régissent la rédaction des rapports de ce genre par les ONG. Quelques minutes à peine après la diffusion de ce «communiqué détaillé» sur le site de HRW, Ahmed Reda Benchemsi se presse de poster un tweet avec un commentaire en parfaite adéquation avec le titre incitatif.
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D’emblée, on aura compris que Benchemsi a fourni un rapport politique où il titre sur le roi du Maroc, consacre les quatre premiers paragraphes au souverain et choisit de tweeter en réservant les 140 caractères à «l’éloge royal de la police». Il est clair que Benchermsi cible davantage le roi du Maroc qu’il ne cherche à établir la vérité sur les cas de violation des droits de l’homme dont auraient été victimes les manifestants à Al Hoceima.
Des cas précis de «torture»?Alors même que le rédacteur du communiqué reconnaît que plusieurs détenus sont en attente de jugement, il rédige un rapport avant l’aboutissement du processus judiciaire. La justice ne s’est pas encore prononcée sur le cas de plusieurs personnes, dont la plus célèbre est Nasser Zefzafi. Leurs dossiers sont encore en instruction. La tradition et les normes imposent d’attendre la fin du processus judicaire avant de rendre un rapport. Mais, vraisemblablement, Benchemsi est trop pressé pour attendre que la justice se prononce. Bien pire, il semble mépriser les institutions de l’Etat dont les missions et les prérogatives sont pourtant bien précisées dans la Constitution, et focalise son rapport sur un traitement politique, truffé de généralités, d’approximations et de contresens.
Dans son «communiqué détaillé», Benchemsi parle de torture, sans nommer un seul cas de torture. Pour toute personne, habituée à lire les rapports de HRW, la précision est de mise et aucune allégation n’est permise sans nommer la personne victime de violation. Cette précision fait cruellement défaut au communiqué rédigé par Benchemsi. Il accuse, mais sans apporter les preuves de son accusation. Pire, il confond torture et mauvais traitements. Que des cas de mauvais traitements aient été enregistrés à l’encontre des détenus lors de leur interpellation, cela est probable. Mais de là à parler de torture, cet «ensemble de procédés provoquant des souffrances physiques et/ou psychologiques intenses employés à l'encontre d'opposants, pour des raisons politiques, idéologiques, afin d'obtenir des aveux, des renseignements», il y a un pas de vite franchi et qui participe du même sensationnalisme qui a présidé à la citation incongrue du roi du Maroc.
Les détenus forcés de signer les PV d’audition?Selon nos informations, aucune délégation de HRW ne s’est rendue au Maroc pour mener des investigations sur les cas de violation des droits de l’Homme lors des manifestations d’Al Hoceima. La seule personne, portant casquette HRW, qui s’est rendue à Al Hoceima est…Ahmed Reda Benchemsi. Ce dernier n’a interrogé que les parties qui peuvent apporter une eau qu’il appelle de tous ses vœux à son moulin: l’AMDH et les avocats des détenus et leurs familles. Le plus curieux, c’est que même si ces parties peuvent être enclines à aller dans un sens favorable aux objectifs du rédacteur du communiqué, celui-ci les a très peu exploitées, préférant ne pas nommer de cas précis pour établir des schémas généraux qui discréditent à la fois l’appareil sécuritaire et judiciaire. Selon Benchemsi, les détenus ont été contraints à signer les PV d’audition de la police.
Il écrit: «Selon le Code de procédure pénale marocain, aucune déclaration préparée par la police ne peut être admise comme preuve si elle est obtenue sous la contrainte ou par la violence. En pratique cependant, les tribunaux condamnent régulièrement des inculpés sur la base d’"aveux" contestés, sans ouvrir d’enquêtes sur les allégations de tortures et autres mauvais traitements». Et d’ajouter: «Le roi Mohammed VI a affirmé lors de la Fête du Trône que les Marocains "ont le droit, et même le devoir, d’être fiers de leur appareil sécuritaire"», a observé Sarah Leah Whitson. «Ne seraient-ils pas encore plus fiers si les allégations d’abus policiers donnaient lieu à des enquêtes crédibles, et si les tribunaux refusaient de condamner sur la foi d’aveux douteux?»
Or nombre de détenus ont refusé de signer les PV d’audition. Si la police contraignait les détenus à signer des aveux, par quel miracle n’a-t-elle pas généralisé ce mode opératoire à tous les détenus, acceptant que certains bravent son autorité et fassent valoir leur droit de ne pas apposer leur signature sur des PV d’audition? Parmi les détenus qui ont refusé de signer les PV d’audition, figurent Sara Zitouni, Najib Abdelhaj, Adil El Hachimi, Samir Taghidouini et Mohed Bouraarassi. Des cas bien précis et que HRW peut vérifier. Mais le rédacteur du communiqué semble avoir trouvé la parade à cela. Car après avoir abondamment expliqué que la justice marocaine fonde ses jugements sur des aveux arrachés par la violence et après avoir trouvé le moyen d’impliquer de façon pernicieuse et relevant du commentaire personnel le roi, Benchemsi reconnaît du bout des lèvres, et très loin dans le communiqué, que «à quelques exceptions près, tous les accusés ont signé leurs PVs». Il faudrait que ce rédacteur qui n’a cessé de marteler que les aveux ont été signés sous la menace «y compris la menace sexuelle», nous explique comment ce qu’il nomme les «exceptions près» n’ont pas cédé à l’imminence de sévices terrifiants.
Les sources royales du communiqué de BenchemsiLa partie où le communiqué de Benchemsi apporte les preuves des allégations de mauvais traitements à l’encontre des détenus repose sur un rapport commandité par le CNDH à deux médecins légistes. Toute la partie preuves se fonde sur une expertise de Hicham Benyaïch, directeur de l’Institut de médecine légale à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca, et de Abdallah Dami, membre de cet institut et vice-président de l’Association marocaine de médecine légale. Les éléments de ce rapport ont été soumis par le CNDH à la justice pour qu’elle fasse son travail. Benchemsi n’a pas attendu que la justice finisse son travail. Il n’a pas non plus attendu que le CNDH rende son rapport sur les événements d’Al Hoceima. Il s’est emparé du rapport des médecins légistes pour conforter ses idées préconçues.
Dans sa fixation sur Mohammed VI, Benchemsi oublie un détail important: c’est ce même roi qu’il accuse d’encourager les forces de l’ordre dans les actes de violence qui a décidé la création du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), en vue de concrétiser l’engagement du Maroc dans la protection des droits et libertés des citoyens. Benchemsi puise son argumentaire contre le chef de l’Etat dans un rapport commandité par un organisme qui a été créé suivant une décision royale, en vue d’enraciner les mêmes valeurs de l’ONG pour laquelle travaille l’ancien directeur du magazine Tel Quel. C’est là le moindre des paradoxes de Benchemsi qui n’arrive pas, selon toute apparence, à se défaire de ses tics d’ancien directeur d’un hebdomadaire. Même en travaillant pour Human Rights Watch, il cherche à tout prix à vendre…en utilisant le roi.