Bardé de diplômes et de décorations, Driss Guerraoui est un véritable marathonien. Un marathonien qui grille toutes ses chances à quelques centimètres du finish. Président du Conseil de la concurrence, une des plus importantes institutions de régulation, il a derrière lui plusieurs décennies d’un travail acharné, de réseautage, de recherches…
Driss Guerraoui, né à Kénitra le 12 décembre 1952, est docteur d’Etat ès sciences économiques (Université Lumière Lyon 2, France) à l’âge de 30 ans. Déjà.
De retour au Maroc, et comme il y avait peu de débouchés à l’époque, l’université était le point d’atterrissage par défaut. Et ce sera pour lui à Dhar Mehraz, l’université de Fès encore sous la coupe des mouvances d’extrême gauche. Driss Guerraoui en profite pour approfondir ses connaissances et commencer une longue carrière d’auteur avec comme sujets de prédilection la jeunesse et les changements sociétaux.
Merci Malki et Youssoufi
C’est à l’université de Fès que Habib El Malki est allé le récupérer au moment où feu Hassan II avait désigné l’actuel président de la Chambre des représentants à la tête du tout frais Conseil national de la jeunesse et de l’avenir (CNJA, créé en 1990). «Il n’était pas le seul, El Malki a repêché plusieurs enseignants universitaires qui "végétaient" à Fès dans un parfait anonymat», témoigne une ancienne connaissance des deux hommes.
Au CNJA, c’est une occasion en or pour Driss Guerraoui de faire l’expérience du terrain, du concret. Ce conseil, de par ses missions, était ouvert à toutes les catégories sociales, toutes tendances confondues.
Lire aussi : L'œil de Gueddar: il ne faut pas jouer avec le feu et... le carburant
L’homme, pour être juste, n’y faisait pas office d’élément de décor. «Il avait un avis sur tout et pouvait prendre la parole pendant des heures», affirme un ancien membre de ce conseil. En parallèle, il continue de hanter les amphithéâtres, mais cette fois à l’Université Mohammed V de Rabat, puis dans d’autres aussi, puisque Dr Guerraoui a fini par décrocher le titre de «professeur invité» dans plusieurs universités du Maroc et à l'étranger.
Et puis survient une autre occasion, en or cette fois. Quand Abderrahman Youssoufi a été désigné, en 1998, pour former et diriger le gouvernement de l’Alternance, il voulait s’entourer de compétences pour l’aider à tenir le gouvernail. Driss Guerraoui est de la partie, il est chargé du volet social. «La rumeur (peut-être encouragée par l’intéressé lui-même) veut qu’il ait été le "Monsieur économie" de Youssoufi, mais c’est faux. Le volet économique était piloté à la Primature par Fouad Zaïm», précise un ancien collaborateur de l’ex-Premier ministre.
Lire aussi : Pétrole: Guerraoui accuse Daoudi de dissimuler des chiffres
Quand Abderrahman Youssoufi quittait la Primature pour la céder à son nouveau locataire, Driss Jettou, l’ex-chef de file des socialistes aurait demandé à son successeur de garder certains de ses collaborateurs. Driss Guerraoui en fait partie. Il sera même maintenu dans ses fonctions avec l’avènement du gouvernement El Fassi.
Le CESE, puis la gloireEn février 2011, Driss Guerraoui est nommé SG du Conseil économique et social (CES, à l’époque). Chakib Benmoussa, ex-ministre de l’Intérieur et actuel ambassadeur du Royaume en France en même temps que président de la Commission spéciale sur le modèle de développement, en prenait la présidence.
«Il n’arrête pas de parler à ses proches de cette audience royale. Driss Guerraoui est plus royaliste que le roi», affirme un de ses proches. Sauf qu’au CES, puis au CESE (présidé depuis 2013 par Nizar Baraka), Driss Guerraoui s’impose en maître… absolu.
«Fatigué d’être un éternel numéro 2 ou 3, il voulait devenir le boss et, au CESE, il se comportait en tant que tel», se souvient un ancien cadre du CESE qui nous rapporte cette anecdote ô combien parlante: l’un des premiers actes de Driss Guerraoui, en tant que SG du CES, a été de commander, aux frais du contribuable, une Audi flambant neuve. Faute d’être président, il profite des privilèges du poste. «On peut dire qu’il a voyagé, à lui seul, plus que Benmoussa et Baraka réunis», ajoute notre source.
Mais il y a l’autre face, celle d’un homme qui ne triche jamais au travail. Au CES, puis au CESE, il était toujours à son bureau à 7 heures du matin. «On se demandait bien comment il trouvait le temps d’écrire tous les livres qu’il a publiés», ajoute un autre ex-cadre du CESE.
Lire aussi : Affaire des carburants ou quand la politique pervertit l’économie
Driss Guerraoui, lui, avait une seule obsession: devenir président, s’imposer en tant que vrai haut commis de l’Etat. «Il couvait une forme de jalousie envers Habib El Malki parce que ce dernier a réussi à devenir plusieurs fois ministre puis président de la Chambre des représentants», témoigne une de nos sources au CESE.
«A chaque fois que je le croisais, il me demandait de prier pour lui parce que, disait-il, il sentait que quelque chose était en route», affirme un de ses anciens collaborateurs. Par exemple, il attendait de se voir confier la présidence du Conseil national de la jeunesse. Il avançait qu’il était le plus légitime à un tel poste. Il aura hérité de mieux: la présidence du Conseil de la concurrence avec, à la clé, une deuxième audience royale en novembre 2018.
Guerraoui s’est-il brûlé les ailes?Driss Guerraoui est enfin président. «Il adore qu’on lui serve du Monsieur le Président et il tient à être appelé ainsi», affirme une de ses connaissances. Mais, au-delà des titres et des privilèges qui vont avec, Driss Guerraoui est appelé à gérer des dossiers chauds, un euphémisme, dont celui des hydrocarbures.
Au premier crash test, l’homme s’est cassé les dents, pour user d’un autre euphémisme. Car en cette fin du mois de juillet, Driss Guerraoui en aura vécu pour une vie de hauts et de beaucoup de bas.
Le conseil qu’il préside a pris deux décisions différentes en l’espace d’une semaine.
Lire aussi : Entente sur le prix des carburants: la teneur de l'arbitrage royal
Des membres du conseil ont saisi le Cabinet royal qui, le 28 juillet, annonçait avoir dessaisi le Conseil de la concurrence du dossier des hydrocarbures en nommant une commission ad hoc. Dans une fiche adressée au souverain par ces membres du conseil, ces derniers énumèrent plusieurs griefs, dont le «comportement du président qui laisse penser qu’il agit sur instructions ou selon un agenda personnel».
Devenu enfin président, Driss Guerraoui se serait-il brûlé les ailes en s’approchant trop de la lumière? «Son rêve réalisé, il voulait en réaliser un autre: entrer dans l’histoire contemporaine comme celui qui a domestiqué les puissants (les pétroliers, ndlr)», commente une de ses connaissances de longue date.
Quant aux conséquences de tout cela, on en saura plus au moment où la commission désignée par le souverain rendra sa copie. Driss Guerraoui, lui, atteint l’âge réglementaire de départ à la retraite (68 ans). L’occasion peut-être de se reposer après de longues décennies de dur labeur et, éventuellement, de couler des jours heureux avec des fidèles qui continueraient, peut-être, à l’appeler «Monsieur le Président».