Les réformes engagées ces dernières années par l’État ne peuvent que rencontrer l’adhésion de la majorité. Trop de déficits ont été accumulés sur différents fronts, et ne pas prendre la décision de s’attaquer aux maux aurait causé d’immenses retards, et aurait même pris des allures de démission devant les difficultés. Rappelons quelques-uns de ces maux: dualité de l’économie, partagée entre un secteur moderne et un secteur informel aux facettes multiples et ravageuses; pénétration accrue de l’argent sale (issu du trafic de stupéfiants) dans plusieurs secteurs économiques, poussant même les incursions dans la sphère politique; réticences à renoncer à l’esprit de rente en persévérant à contourner les règles d’une saine concurrence, phénomène répandu dans la plupart de secteurs, même parmi certaines grandes entreprises privées (dont celui des hydrocarbures), coupables d’entente.
Les dysfonctionnements rappelés plus haut seraient, pour les historiens de l’économie, des manifestations inhérentes à un stade de développement d’un pays qui se construit, heureusement appelées à disparaître. Pour les politistes, plus au fait des choses courantes et ayant le souci de l’immédiat, ces anomalies se seraient démultipliées en profitant d’un haut degré de tolérance de pouvoirs publics d’abord soucieux de «mieux huiler» le circuit économique et d’amortir les tensions sociales.
Quelles que soient les interprétations ou les justifications de cette situation, demeure la question centrale, à savoir la capacité du système actuel, avec les imperfections de son fonctionnement, à remplir deux missions: assurer une croissance économique significative et durable (production de richesse), faire profiter de cette richesse le plus grand nombre possible de la population. Les chiffres disponibles montrent que sur les deux volets, croissance et répartition, les résultats sont en deçà des attentes d’une part, et même de ce qui se réalise ailleurs d’autre part. Ni accomplissement d’une croissance moyenne élevée sur la durée, ni même répartition équitable du peu de croissance réalisée, se concrétisant par la formation d’une large classe moyenne, clé de voûte de tout développement démocratique, n’ont été au rendez-vous. Bien au contraire, les inégalités se sont accentuées et la précarité persiste (cf. Haut-Commissariat au plan).
La conviction partagée est que ce mode de fonctionnement de l’économie a fait son temps. Au-delà d’être inefficace, car ne permettant pas d’atteindre des niveaux de croissance élevés, il est contre-productif socialement, dans la mesure où il annihile les efforts de répartition de l’État en siphonnant les revenus des plus démunis en faveur des nantis.
La stratégie développée par l’État ces dernières années pour dépasser ce véritable goulot d’étranglement dans lequel végètent l’économie et la société, stratégie qu’on pourrait lire dans les réformes engagées et les actions entreprises, consiste d’abord à sécuriser les franges les plus précaires de la société en élargissant les services et aides aux plus précaires (cf. État social), ensuite, et dans le sillage de l’article 77 de la Constitution et de la loi organique des Finances, renforcer la volonté de l’État d’accroître «la transparence» de la gestion du budget de l’État et des collectivités territoriales, et des commandes publiques, et de faire respecter le libre exercice du droit de la concurrence; et enfin à ne plus hésiter à recourir à la coercition pour faire respecter la loi et préserver les droits des uns et des autres. Les différentes actions entreprises contre les trafiquants de stupéfiants, les vendeurs ambulants et leurs «habitudes» à occuper les espaces publics, la destruction de bâtiments à usages divers construits au mépris de la loi dans différentes localités du Royaume illustrent cette volonté.
Est-ce suffisant pour installer un nouveau mode de régulation de l’économie générateur de plus de croissance et d’une meilleure répartition? L’État, plus spécifiquement l’Administration des territoires et le département de la Justice, en procédant de la sorte, ont manifesté leur volonté d’assainir, d’appliquer le droit. Reste à d’autres départements de compléter «l’offre», ou le «package», en redoublant d’efforts pour créer plus d’emplois, stimuler l’investissement et élargir l’assiette fiscale.
Pour ce faire, et cela a été déjà suffisamment rappelé dans diverses chroniques, une révision du modèle de gouvernance de l’équipe gouvernementale s’impose, ainsi que l’ouverture du vaste chantier de la transparence du secteur privé. On ne peut pas demander la transparence uniquement à l’administration. Il est nécessaire que le secteur privé y mette du sien, avec l’aide de l’administration fiscale, des services sociaux, du système financier, des organisations professionnelles patronales et ouvrières.
La solution aux maux qui gangrènent la société marocaine ne peut venir uniquement de la coercition. Tout en ne doutant aucunement qu’elle soit nécessaire pour faire respecter la règle de droit, elle doit toutefois être accompagnée d’un ambitieux programme de développement économique, capable de résorber la main-d’œuvre libérée par l’informel en l’employant dans des secteurs transparents et productifs.
Votre serviteur habite dans les environs d’une grande artère où proliférait une myriade de vendeurs ambulants de toutes sortes de marchandises. Les autorités leur ont interdit de l’occuper. En attente de trouver une autre occupation, ces mêmes vendeurs occupent les ruelles adjacentes.
La solution, on l’aura compris, pour s’installer dans la modernité c’est le juste équilibre entre l’application de la règle de droit et la mise à disposition d’alternatives économiques viables en faveur de la population.
L’installation dans la modernité, pour répondre à l’interrogation formulée plus haut, est la meilleure voix pour réaliser un enrichissement global meilleur et au profit des plus larges couches de la population.