Mauritanie: lecture dans la dernière déclaration de Ghazouani sur le Sahara

Le président mauritanien Mohamed Cheikh El Ghazouani.

Le président mauritanien Mohamed Cheikh El Ghazouani. . DR

Le président mauritanien, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, a tenu, dans la nuit du 5 au 6 mars, une conférence de presse avec un groupe de journalistes représentant les médias locaux. Une réponse concernant le dossier du Sahara a particulièrement suscité les commentaires en Mauritanie. Analyse.

Le 09/03/2020 à 10h50

Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani vient de faire son baptême du feu médiatique avec la presse de son pays, qu’il a invitée à un dîner-conférence de presse dans les locaux de la résidence présidentielle. C’est son premier exercice du genre face aux journalistes locaux depuis sa prise de fonction, le 1er août dernier, sachant qu’il n’a jusqu’ici accordé des interviews qu’aux seuls médias internationaux. Une «erreur», dit-il, qu’il a tenu à réparer et qu’il a expliqué par un «agenda très chargé».

Tenue dans la nuit du jeudi à vendredi derniers, cette première conférence de presse a eu la particularité, malgré la présence des caméras de la télévision nationale, de n’avoir été diffusée qu’en différé, soit quelque 24 heures plus tard, même si les journalistes présents en ont fuité des bribes en «live» sur certains sites électroniques de la place.

Autre particularité: plusieurs passages de la conférence de presse auraient été supprimés dans la version diffusée par les médias officiels, et ce sur la foi de plaintes de journalistes présents à ladite conférence de presse, dont certains rapportent que de nombreuses questions, et même réponses de Ghazouani, ont été totalement ou partiellement sabrées.

Passé ce côté formel, le fond des questions posées à Ghazouani a été essentiellement axé sur les affaires domestiques, hormis deux questions. L’une d’entre elles a porté sur la région nord-ouest africaine (Sahara), où un journaliste a indirectement accusé Ghazouani d’avoir une position non neutre ou dont les «contours ne semblent pas clairs dans le dossier du Sahara».

Sachant qu’il a affaire au directeur du site «Zahrat Chinguit», un média nouakchottois dont il sait être très proche de l’Algérie et du Polisario, le président mauritanien s’est montré plutôt très flegmatique en identifiant à «qui il parle» réellement, au-delà de l’auteur de la question. «Sur ce dossier, comme sur beaucoup d’autres relevant de la politique étrangère, la position de la Mauritanie est restée constante», a-t-il répondu, avant d’ajouter: «la Mauritanie a reconnu la ‘RASD’, ou la reconnaît, rien n’a changé». Par ce double usage (en hassania) du verbe «reconnaître», Ghazouani a indirectement laissé comprendre, à qui voudrait analyser finement son discours, qu’il faut «reconnaître que cette reconnaissance» est un lourd boulet que traîne le pays depuis des décennies et dont il n’arrive pas à s’en débarrasser pour des raisons sécuritaires liées à un certain «mauvais voisinage».

Allant plus loin, Ghazouani a déclaré que «la neutralité positive adoptée par la Mauritanie ne plaît pas à tout le monde, à tel point que nous sommes en train de chercher, avec notre ministère des Affaires étrangères, un autre concept qui pourra mieux faire comprendre à nos frères que nous sommes à équidistance entre eux dans le dossier du Sahara». Ghazouani a même proposé de remplacer la «neutralité» par «l’impartialité positive». Avec ce jeu de mots, il est clair que cette réponse est également adressée à Alger et au Polisario, dont les médias n’ont jamais cessé de lui reprocher d’être très proche du Maroc, contrairement à son prédécesseur. Des reproches qui ont fusé depuis qu’il a annoncé sa candidature à la présidentielle mauritanienne, et dont le dernier épisode remonte à la récente audience qu’il a accordée au ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, les 18 et 19 février dernier. La seule fois où les médias de Tindouf ont épargné Ould Ghazouani, c’est à l’issue de cette conférence de presse qu’ils ont relatée laconiquement en prétendant que «le président mauritanien a renouvelé la reconnaissance de son pays à la ‘RASD’», mais en lui attribuant de façon mensongère, et pour les besoins de la propagande locale, ce qu’il n’a à aucun moment dit sur un quelconque «droit à l’autodétermination».

De son côté la presse mauritanienne a considéré que la déclaration de Ghazouani sur le Sahara est un non-événement, car n’apporte rien de nouveau. Dans un compte rendu de la conférence de presse de vendredi soir, le site francophone calame.info, dont le patron était assis juste à côté de Ghazouani, n’a pas consacré un seul mot à cette déclaration sur la ‘Rasd’.

Le site arabophone, anbaa.info, estime, lui, que cette déclaration de Ghazouani sur le Sahara est à placer dans le moule de la «crainte d’ordre sécuritaire» qui a toujours prévalu chez tous les dirigeants mauritaniens, bien que la question du nécessaire retrait de la reconnaissance de la ‘Rasd’ ait été régulièrement préconisée depuis le 12 décembre 1984, date de la chute du régime de Ould Haïdala, l’ex-homme fort et pro-polisario de la junte militaire qui a gouverné le pays de 1980 à 1984.

Selon ce site, pour nombre d’observateurs mauritaniens, la présence aux frontières nord du pays d’un polisario surarmé par l’Algérie constitue une menace permanente pour la sécurité de la Mauritanie, dont le seul «bouclier» est le maintien de cette reconnaissance de façade de la ‘Rasd’. Une réalité que le Maroc comprend parfaitement, ce qui, selon ce site, fera que la récente déclaration de Ghazouani «n’aura strictement aucun effet négatif sur la dynamique et le stade très avancé auquel sont arrivées aujourd’hui les relations maroco-mauritaniennes».

Par Mohammed Ould Boah
Le 09/03/2020 à 10h50