Le 7 mars courant, répondant à une question au gouvernement à l’Assemblée nationale française, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a défendu la politique de Paris au Maghreb. Des parlementaires l’avaient interpellée en particulier sur une information du gouvernement marocain de source officielle publiée par l’hebdomadaire Jeune Afrique précisant que «les relations ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Elysée». Elle n’a pas voulu faire de commentaire à ce sujet en relevant que c’était là des «propos d’une source anonyme»... Une pirouette: jusqu’à plus ample informé, Rabat n’a pas apporté quelque démenti à ce sujet. Elle a tenu à s’attacher en tout cas à «pratiquer l’apaisement». Et de rappeler que dans cette ligne-là, elle a effectué une visite dans le Royaume, les 15 et 16 décembre dernier; et que les deux pays ont, à cette occasion, fait part de leur commune volonté d’approfondir les rapports bilatéraux avec la visite annoncée du président Macron lors du premier trimestre 2023.
Au Parlement, en tout cas, voici quelques jours, ce programme n’a pas été évoqué. Preuve que rien n’est réglé quant à cet agenda diplomatique. Alors? La référence à l’ «apaisement» -annoncé, souhaité et même finalement souhaitable- ne se décrète pas. Elle doit se fonder sur des signes. Des actes. Un climat traduisant bien le réchauffement. Est-ce le cas aujourd’hui? Pas vraiment. Le Maroc n’a pas d’ambassadeur à Paris. Le poste était occupé par Mohamed Benchaaboun, nommé le 17 octobre 2021. Mais il n’a présenté officiellement ses lettres de créance au Chef d’Etat français que neuf mois plus tard, le 22 juillet 2022. De quoi nourrir de fortes interrogations. Si bien qu’il n’a assuré la plénitude de sa fonction de chef de mission diplomatique que durant trois mois, jusqu’à sa nomination royale, le 17 octobre, comme directeur général du nouveau Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Le 19 janvier 2023, un dahir royal publié au bulletin officiel met fin officiellement à sa mission à Paris. Une procédure passablement inédite dans la pratique diplomatique d’autant que la date retenue est celle-là même du vote d’une résolution du Parlement européen hostile au Maroc. Un message...
L’on ne pourra retenir l’hypothèse d’un processus de normalisation entre Paris et Rabat que lorsque sera désigné un nouvel ambassadeur en France. Et à cet effet, le statu quo actuel ne paraît pas (encore) pousser dans ce sens: tant s’en faut. L’on peut penser que cette «reprise» ne se fera que si elle s’inscrit dans un processus de clarification de Paris. Au premier rang, bien entendu, la question nationale. Le Souverain l’a réitéré en maintes circonstances et de manière publique et officielle: la diplomatie du Royaume aura un prisme central, à savoir la position des pays sur le Sahara marocain. Cela vaut pour tout le monde et a fortiori, pourrait-on dire, pour ceux qui ont des liens traductionnels étroits avec le Maroc. Se classe ici la France avec laquelle les relations sont anciennes, privilégiées aussi. Or, sur cette question, Paris continue à entretenir l’ambigüité -plus précisément un «mix» de rigidité et de frilosité. Il est vrai -et la ministre française des Affaires étrangères n’a pas manqué de le relever lors de sa visite, le 16 décembre dernier- que Paris a toujours soutenu Rabat tant au Conseil de sécurité qu’ailleurs et ce, depuis 1975. A cela, l’on peut après tout répliquer ceci: la France, pouvait-elle adopter une autre position dont le coût politique et diplomatique aurait été certainement élevé et peu soutenable. Passons: il y a là un acquis.
Ce qui pose problème aujourd’hui regarde l’autisme de ce pays à ne pas vouloir prendre en compte les changements intervenus dans l’affaire du Sahara marocain. Une dynamique nouvelle a été en effet engagée ces dernières années. Elle s’est illustrée avec éclat depuis la fin de l’année 2020 par la conjonction des faits suivants: la reconnaissance par Washington en décembre 2020 de la marocanité des provinces méridionales du Royaume, la réévaluation dans ce sens de leur position par des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, la Hollande, la Serbie et d’autres encore -pas moins de dix Etats membres de l’UE sont à inscrire dans ce chapitre; enfin, la traduction de toutes ces données nouvelles au plan territorial avec une trentaine de consulats généraux à Dakhla et Laâyoune de pays africains, arabes et d’Amérique latine. Si bien que la France de Macron s’échine toujours à garder une certaine distanciation par rapport à ces données nouvelles. Le souci de consolider un certain tropisme du locataire actuel de l’Elysée est-il tellement décisif à cet égard? Oui, sans doute, dans une certaine mesure. Mais il n’explique pas tout.
D’autres paramètres sont à prendre en considération: l’absence de feeling entre le président français et SM le Roi, la contraction continue des échanges commerciaux entre les deux pays même si la France reste un principal partenaire économique, la concurrence des groupes économiques marocains dans l’Afrique de l’Ouest considérée comme un marché pratiquement captif, corollaire du pré carré de la Françafrique, etc. Mais il y a plus. Référence est faite à l’autonomisation accentuée de la diplomatie marocaine déployée dans le continent mais également sous d’autres latitudes.
La France, finira-t-elle par en prendre acte et réarticuler ses relations avec le Royaume sur de nouvelles bases? C’est souhaitable dans l’intérêt bien compris d’ailleurs des deux pays. Ou bien se bornera-t-elle à «gérer» autant que faire se peut la situation actuelle? En tout état de cause, même dans une épure de «normalisation», il faudra bien faire un constat: Paris-Rabat, demain, ce sera différent -un partenariat privilégié sans doute mais adossé à des crédos relevant d’un nouveau paradigme à rechercher et à conforter avec une autre grammaire diplomatique…