Les élections européennes, suivies de la dissolution de l’Assemblée nationale française par le président Macron, sont un fait majeur de l’actualité. De quoi emporter des conséquences après la percée de l’extrême droite. Elles interpellent les 27 membres de l’Union européenne, mais également l’évolution des relations avec les partenaires traditionnels de celle-ci, en particulier le Maroc.
La poussée de l’extrême droite n’a pas cependant la même dimension dans chacun des États membres de l′UE. Elle a été forte en France (34 sièges), en Allemagne (15 pour le parti APD), en Pologne (24) et en Italie (26), etc. Ce n’est pas un raz-de-marée, comme cela est avancé ici et là, mais plutôt une progression continue illustrée par les précédents scrutins de 2014 et de 2019. C’est tellement vrai que la composition du nouveau Parlement européen -où ils seront 720 députés- confirme bien cette évolution. Ainsi les conservateurs regroupés au sein du PPE préservent leur premier rang avec 179 sièges, à comparer aux 176 dans le parlement sortant de 705 membres. Ils sont suivis de nouveau par les sociaux-démocrates (140) et les centristes libéraux (78) en recul cependant par rapport à 2019 (102), comme les écologistes d’ailleurs (52) qui perdent 20 sièges. Pour ce qui est maintenant de l’extrême droite, elle compte trois composantes avec un total de 178 sièges, en progression de 60 sièges.
De tels chiffres sont à relever parce qu’ils conduisent à s’interroger sur les variations éventuelles de la politique de l’UE à l’international, en Méditerranée, au Maghreb, en Afrique et en particulier avec le Maroc. Globalement, la majorité au sein du Parlement européen n’est pas du côté de l’extrême droite, tant s’en faut, mais dans les trois groupes des conservateurs (179), des sociaux-démocrates (140) et des centristes et libéraux (78), soit 397 membres. Un schéma de «continuité» donc, même s’il n’est pas exclu que tel ou tel infléchissement à la marge puisse être enregistré durant cette nouvelle mandature allant jusqu’à 2029.
Avec le Maroc, le socle bilatéral des relations avec l’UE est solide, bâti par l’accord d’association signé en 2000, prolongé et élargi avec le statut avancé de 2008 qui a optimisé l′étroitesse et la portée des relations. Qu’en sera-t-il maintenant de l’avenir des relations entre Rabat et Paris? Bien des conjectures circulent dans les réseaux sociaux, relayées par des commentaires prédictifs de certains, sans beaucoup de recul ni de nuances. Qui peut sérieusement risquer des approches conséquentes sur l′impact du nouveau classement de l’extrême droite sur les relations avec le Maroc? Tant de paramètres actuels sont provisoires. Le premier d’entre eux regarde le score final du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Jordan Bardela le soir des résultats du second tour des législatives, le 7 juillet prochain.
Ce parti aura-t-il la majorité absolue de 289 sièges dans l′Assemblée nationale qui en compte 577? Si tel était le cas, Jordan Bardela, déjà «premier ministrable» dans la présente campagne électorale, serait nommé sans doute par le président Macron pour diriger le nouveau cabinet avec des alliés, tel le groupe d’Éric Ciotti, actuel président du parti Les Républicains (LR), qui a présenté une soixantaine de candidats. Ce qui se dessine est un schéma de cohabitation entre le Chef de l’État et un Premier ministre issu d’un parti adversaire. Dans la pratique institutionnelle française, il faut noter qu’il y a eu trois précédentes cohabitations: Mitterrand-Chirac (1986-1988), Mitterrand-Balladur (1993-1995) et Chirac-Jospin (1997-2022).
Si la majorité absolue n’est pas atteinte par le RN, prévaudra alors la formation d’un cabinet d’extrême droite, avec seulement une majorité relative. Mais avec quels alliés? En tout état de cause, le président Macron devra s’astreindre à cette nouvelle donnée des résultats législatifs du 7 juillet prochain. Il aura à présider dans le cadre contraignant de son périmètre constitutionnel; et il n’aura pas d’autre choix que laisser le nouvel exécutif diriger en donnant plein effet aux dispositions de l’article 20 de la constitution française: «Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.» Des réglages devront se faire entre les deux responsables de l’exécutif. Ils seront laborieux, rugueux même…
Cela dit, peut-on d’ores et déjà préjuger des décisions pouvant avoir un impact sur les rapports entre Paris et Rabat? Il faut le dire tout net: des appréhensions existent. Elles portent sur les points suivants: une politique de nouveau restrictive et même punitive de visas, des mesures drastiques contre des migrants illégaux, l’application des expulsions dans le cadre des obligations de quitter le territoire français (OQTF), la suppression de prestations sociales, des entraves à la libre circulation entre les États Schengen, sans oublier la taxation des transferts des MRE. Un climat ne pouvant que peser sur le partenariat privilégié, voire d’exception, présenté comme le référentiel consolidé entre les deux pays. Le profil du ministre français des Affaires étrangères n’est pas à négliger dans la mise en œuvre de la diplomatie de la nouvelle équipe. Et, quelle que soit l’image positive du Royaume en France dans de larges cercles, il faudra bien mesurer que certaines mesures annoncées dans la campagne électorale et le programme de l’extrême droite ne vont pas manquer de parasiter les relations entre les deux États. Il faut signaler dans ce registre l’extrême sensibilité de la communauté nationale aux conditions de travail, de séjour et de vie de la migration marocaine forte de 1,5 million de personnes, dont 670.000 binationaux et 46.000 étudiants.
Reste la question nationale des provinces méridionales du Royaume. Il est difficile d’escompter «à chaud» des éléments nouveaux de l’extrême droite au gouvernement. Ce n’est pas d’une grande priorité pour Paris, compte tenu de l’ampleur des tâches durant les premières semaines et même les premiers mois. Comment reprendre langue avec les membres de ce nouvel exécutif et réactiver l’agenda de réchauffement qui a marqué les derniers mois des relations bilatérales? Voici neuf mois, l′ambassadeur français à l′ONU avait réitéré le soutien de Paris au plan marocain d’autonomie en précisant qu’il faut «avancer». Le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, l’avait également souligné à Rabat, lors de sa visite le 26 février dernier. Des «petits pas» ont été faits, telle la décision de l’État français d’autoriser des investissements publics dans les provinces sahariennes avec le concours de l′AFD. Il reste à faire plus, et ce, dans le sens de partenaires traditionnels (États-Unis, Espagne, Allemagne…) et du soutien majoritaire de plus en plus marqué de la communauté internationale.
Les alternances politiques en France doivent se hisser au niveau des intérêts supérieurs des deux pays. Le Maroc de 2024 consolide son influence et son rôle. Et il entend pour œuvrer pour un partenariat novateur de long terme. Le nouveau gouvernement français ne peut évacuer ni même minorer cette situation…