Les étés se suivent et ne se ressemblent pas pour la jeune eurodéputée qui avait choisi de fêter son élection au Parlement européen par des vacances très politiques à Alger, la «Mecque des révolutionnaires et de la liberté». Tandis que la saison 25, inaugurée par une croisière vers Gaza et la séquence médiatique réussie de la Flotille de la Liberté, a ensuite feuilletonné sur un tout autre scénario, avec en ouverture cette phrase assassine «Il faut vraiment arrêter de comparer la Palestine à la question du Sahara». Déclenchant illico un lynchage médiatique de ses soutiens algériens, lesquels reprenaient trois siècles plus tard, et en l’inversant, la formule d’une autre révolutionnaire, Olympe de Gouges: «Si la femme a le droit de monter à la tribune… elle doit avoir également celui de monter à l’échafaud!»
Et tandis qu’Alger déboulonnait sa statue, Rima Hassan laissait publier opportunément par «son» ONG un rapport sur les «refugiés des camps de Tindouf», une vingtaine de pages qui affichent sa solidarité avec une «population sous perfusion humanitaire» tout en distribuant des critiques calibrées qui épargnent le Polisario d’un rappel douloureux: le scandale des détournements des aides humanitaires finalement mis à jour par l’Union européenne.
Un Polisario qu’elle délégitimera à la fin de l’été d’une formule lapidaire: «Je n’ai pas d’opinion sur le Front Polisario» dans une interview donnée à la presse espagnole; un entretien riche en précisions sur sa nouvelle perception du dossier du Sahara.
Verbatim: «C’est une opinion, et je me base sur des réalités: la première est l’objectif génocidaire: nous assistons à une tentative d’effacer physiquement le peuple palestinien par une colonisation qui tue chaque jour et des bombardements incessants de civils depuis près de deux ans. Le conflit du Sahara est un conflit gelé, non résolu. La seconde se réfère à la nature du conflit. J’ai évoqué la dimension régionale pour souligner que la Palestine souffrait d’une colonisation qui s’inscrivait dans un agenda colonialiste impérialiste occidental. Ce n’est pas le cas du Sahara. La Cour internationale de justice reconnaît l’existence de liens historiques, culturels et juridiques avec le Maroc, ce qui n’est pas le cas avec les Palestiniens et les Israéliens.»
«Je soutiens l’idée que le peuple sahraoui puisse s’exprimer, que ce soit par référendum ou par des négociations avec le Maroc et l’Algérie.» Quant au plan d’autonomie marocain? Il ne m’appartient pas de trancher sur cette question ni de parler au nom des Sahraouis. Des négociations doivent d’abord être menées avec le peuple sahraoui et le Maroc, sous l’égide des Nations Unies, pour parvenir à un accord». L’élue précise enfin que sa sortie estivale avait un objectif précis: «appeler à l’unité sur un sujet brûlant et une source de tensions importantes dans la région, notamment entre le Maroc et l’Algérie, avec des répercussions importantes pour leurs diasporas en France.»
C’est ainsi que d’une phrase, Rima Hassan dévoile les dessous de sa séquence médiatique: à six mois d’élections municipales en France, la stratégie de la France Insoumise pour un scrutin majeur (ce sont les maires qui parrainent les candidats aux élections présidentielles) et à destination d’un électorat maghrébin de facto divisé sur le Sahara. On sait les paradoxes du parti de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet: un leader qui a souvent brouillé les pistes mais qui, né à Tanger, jouit de sa «marocanité», des parlementaires majoritairement pro-Alger (il n’est qu’à relever leurs positions honteuses sur le sort de Boualem Sansal au sein des parlements français et européen); et un électorat qui ne «compare pas la Palestine au Sahara», et de fait, hiérarchise ses causes. Pour s’en tenir aux électeurs français du Maroc, et aux élections européennes de 2024, l’«effet Gaza» l’a indéniablement emporté sur l’«effet Dakhla»: la liste de la France Insoumise est arrivée largement en tête, nonobstant le bilan résolument «anti-Maroc» de Manon Aubry au Parlement de Strasbourg.
«Chez les révolutionnaires, comme dans les vers du poète «Mourir pour des idées, l’idée est excellente. Encore faut-il savoir lesquelles»! »
— Florence Kuntz
Quel est, in fine, l’objectif du président de la France Insoumise? Que Rima Hassan lui succède à la tête du parti? «Sa personne est sacrée», «les jeunes filles devraient s’en inspirer »… Les dithyrambes des derniers mois ne laissent pas place au doute: parmi les héritiers, elle est sa préférée. Chez les électeurs LFI aussi, la jeune parlementaire est, de loin, la plus populaire. Et s’il est trop tôt pour passer la main, le moment est déjà venu pour Mélenchon, selon le logiciel communautaire qui tout entier l’inspire, d’utiliser la voix de Lady Gaza– et quelle voix forte! 1 million d’abonnés sur Instagram et 450.000 sur TikTok– pour parler à l’électorat musulman. Une voix qui exprime désormais la ligne du parti sur le dossier du Sahara? La distance prise par la direction LFIste avec son député de Marseille, lequel avait traversé la Méditerranée pour faire allégeance et draguer grossièrement l’électorat algérien de la Cité Phocéenne, pourrait bien illustrer également ce glissement… Ce qu’en d’autres temps, le Cardinal de Retz aurait résumé d’une phrase: «On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment».
Rima Hassan poursuivra-t-elle sa campagne sur le Sahara à Bruxelles? Elle siège dans une délégation française dont la présidente est Manon Aubry, qui a mené une campagne électorale dans l’ombre du tandem Mélenchon/Hassan, mais reste le meneur des élus français au Parlement, forte de son expérience européenne, co-présidente du groupe The Left avec un député allemand– et elle a largement démontré son soutien au Front Polisario, au sein de l’intergroupe Sahara Occidental et dans le groupe, à l’initiative d’une candidature d’une activiste du Polisario au prix Sakharov…
Quant à l’influence de Rima Hassan vis-à-vis des autres délégations? Si ses effets de keffieh donnent une incroyable visibilité à ce groupe (46 élus sur 720) sur un sujet unanimement partagé par les treize nationalités d’Europe de l’Ouest qui le compose, la pasionaria de la cause palestinienne n’a aucune autorité sur ses collègues. Il n’empêche! Ses propos font déjà débat dans la gauche radicale européenne, avec de premiers reproches publics, émanant d’une députée de Sumar, pour avoir «banalisé» le dossier du Sahara, et des craintes: «J’espère que ton post ne disqualifie pas la lutte et ne répond pas à une équidistance électorale qui peut servir en France, mais qui ignore la réalité. J’espère aussi que cela n’influencera pas des décisions cruciales au PE concernant le Sahara Occidental.»
On suivra donc avec intérêt les discours et actions de la France Insoumise ces prochains mois, tant vers les banlieues françaises qu’au Parlement européen. Chez les révolutionnaires, comme dans les vers du poète «Mourir pour des idées, l’idée est excellente. Encore faut-il savoir lesquelles»!





