L’économiste français François Perroux avait alerté, durant les années 60 du siècle dernier, la communauté des chercheurs sur la nécessité de ne pas confondre croissance économique et développement. Considérant ce dernier une notion plus large qui comprend d’autres éléments qualitatifs en plus de la croissance. Il est allé plus loin dans ses recherches, par la suite, en mettant en évidence l’incidence des facteurs non économiques sur la croissance et en proposant une définition qui leur donne la primauté comme moteur de production de richesses. Voici une de ses définitions du développement: «le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rende apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global».
L’Unesco, organisation des Nations Unies en charge de la culture, en affirmant que «c’est la culture en enrichissant le capital social qui permet de vraiment valoriser les autres ressources pour le développement», a repris à son compte cette approche en lui donnant valeur universelle, contre l’avis de l’Ecole néolibérale en économie.
L’initiative du Chef du Gouvernement de consacrer tout une séance du parlement le 31 janvier dernier à la politique culturelle est à saluer doublement. Il y a fort longtemps, cela se compte en années, que la culture n’a pas eu les honneurs d’une séance plénière aussi longue. Placer la culture au cœur de la politique du développement, conformément aux principes de l’Unesco,, ne peut qu’être bénéfique à la communauté nationale.
Pour le Chef du gouvernement, tel que rappelé dans sa réponse aux questionnements des députés, les sources d’inspiration d’une politique culturelle ambitieuse ne manquent pas. La Constitution du Royaume de 2011 considère l’accès à la culture comme un droit, dans son article 6, et prône l’appui aux activités culturelles dans son article 26. Le Roi Mohammed VI, dans le discours du Trône de 2013, avait considéré la culture comme élément structurant de la société et incité à sa promotion dans sa diversité. La Commission pour le Nouveau Modèle de Développement a insisté sur la culture comme un pilier du développement économique, loué son rôle dans l’innovation, l’acquisition du savoir et a recommandé de porter une attention particulière aux industries culturelles, gisement potentiel d’emplois.
La politique culturelle proposée par le gouvernement a pour souci de promouvoir la diversité linguistique et culturelle de notre identité, la préservation de notre patrimoine, un hommage appuyé a été rendu à la «politique du musée», encourager la création artistique et accompagner les artistes, réintroduire l’art à l’école et mettre en place une industrie culturelle.
Les principaux acteurs de cette politique sont l’Etat et les collectivités territoriales qui ont pour mission d’encourager la production, la diffusion et la consommation de biens culturels. Il s’agit de démocratiser l’accès à la culture, corriger les inégalités spatiales et diversifier les publics, conformément à l’article 6 de la Constitution, déjà cité.
En plus de contribuer au développement économique une politique culturelle permet, toujours selon le Chef du Gouvernement, d’assurer un meilleur rayonnement du Maroc et d’accroître son soft power.
Comme rappelé plus haut, cette intervention aura eu comme premier mérite d’exister, après une longue absence de la culture des préoccupations des gouvernements précédents. C’est un discours d’orientation, pas un plan d’action. Il est appelé à s’enrichir, à mieux affiner certains concepts et à proposer des financements adaptés. Car les enjeux sont importants.
Ainsi si la politique culturelle vise à conserver et à produire de nouvelles valeurs collectives pour faciliter la socialisation et solidifier le sentiment d’appartenance à la nation, il appartient à l’Etat d’encourager l’éclosion de nouveaux signes, représentations, comportements, valeurs allant dans ce sens. Il faut donner du contenu à la politique culturelle.
La notion d’identité nationale gagnerait, elle aussi, à être enrichie. Rappelons qu’elle se fonde sur une représentation commune, une histoire, des valeurs et une langue. Si pour les langues, nous avons opté volontairement pour la pluralité, un programme se met en place, il reste un travail important à faire sur les autres composantes. La France a eu la chance d’avoir un Fernand Braudel qui a disserté sur «l’identité française», le Mexique a eu Octavio Paz, nous nous sommes demandeurs de travaux supplémentaires qui confirment «l’exception marocaine» et légitimeraient encore plus nos diverses ambitions, tout en solidifiant notre référent identitaire.
Elargir la définition du patrimoine en y incluant les métiers de la création, encourager les cultures régionales, permettront à n'en pas douter l’épanouissement des citoyens, le développement du tourisme et la création d’emplois.
Enfin, cela a été souligné dans le programme gouvernemental, le développement de la culture est aussi le rôle des collectivités locales qui doivent veiller à la mise en valeur de la culture populaire des divers territoires et mieux exploiter leurs spécificités afin de permettre à l’Etat central de dégager plus de moyens à d’autres manifestations artistiques nationales.
Vaste chantier, nous demeurons en attente de la suite.