Le programme Awrach, qui ambitionne de créer à brève échéance 250.000 emplois, est d’inspiration keynésienne. Rappelons que J.M. Keynes est un économiste britannique du XXe siècle, grâce aux idées duquel l’économie occidentale a connu le redressement post-crise de 1929. Sa principale proposition: on peut relancer une économie en stimulant la demande. Les idées de Keynes ont été déjà largement mises à contribution dans notre pays, d’une manière élaborée, dans le grand programme d’équipement en infrastructures des deux dernières décennies. Nous avons fait du néo-keynésianisme.
Le programme Awrach, d’une taille beaucoup plus réduite, le budget pour 2022-2023 est de 2,25 milliards de dirhams entend fournir un emploi temporaire et aider à l’inclusion 250.000 personnes. Cette «création factice d’emplois» a été déjà utilisée par plusieurs pays après la crise de 1929, l’objectif ayant été de créer un pouvoir d’achat temporaire. Elle a été fortement critiquée par les anti-keynésiens qui reprochaient aux divers gouvernements l’ayant adoptée d’employer les ouvriers «à creuser des trous pour ensuite les reboucher». En fait, d’avoir une rentabilité économique limitée.
Afin de ne pas tomber dans le piège du gâchis, le gouvernement actuel a demandé aux acteurs locaux d’identifier des travaux d’intérêt général afin d’utiliser cette main d’œuvre à bon escient.
Est-ce suffisant, d’autant que les pilotes (associations, coopératives) n’auront pas de véritables comptes à rendre? N’était-il pas plus pertinent de concevoir un véritable programme de mise à niveau de petites infrastructures dans les différents territoires, quitte à augmenter le budget pour y inclure les moyens de réalisation? Sans prétendre à dupliquer le programme de Joe Biden, à 1.200 milliards de dollars US, ni de construire une nouvelle «route de l’unité», la question ne mérite-t-elle d’être posée?
Bien que beaucoup ait été fait dans le domaine de l’électrification et de l’accès (pistes), nos territoires sont encore dans le besoin en termes d’infrastructures. Il reste des choses à faire. Ce programme peut laisser une empreinte pérenne en réalisant des œuvres bien identifiées et utiles. Evitons le keynésianisme primaire. Plus d’imagination et de travail de conception seraient les bienvenus.
Autre programme, autre inspiration doctrinaire: Forsa. Il ambitionne de créer 10.000 Très Petites Entreprises (TPE) en accordant des crédits à des conditions avantageuses et en assurant un premier accompagnement aux entrepreneurs détenteurs de projets.
Le programme est plus ardu qu'Awrach, car créer de la richesse est plus difficile que procéder à sa distribution, et demande plus de temps.
Forsa trouve son inspiration chez les économistes néolibéraux, appelés aussi «économistes de l’offre», qui prônent la relance par un soutien réglementaire, fiscal et financier des entreprises. Les entreprises créées et soutenues génèrent la richesse qui booste la croissance et créent une demande supplémentaire. Pour faire simple, c’est l’offre qui crée la demande.
Ce n’est pas la première fois que le Maroc essaie d’encourager la création de petites entreprises. Il y a eu précédemment le Crédit Jeune Promoteur (CPJ). Une expérience aux résultats discutables.
Pourquoi l’expérience du CJP n’a-t-elle pas été concluante? Pourquoi il y a eu un fort taux d’échec? Pourquoi le système bancaire au départ était dubitatif sur la pertinence du concept? Pouvons en tirer quelques enseignements pour Forsa? Les projets qui ont réussi dans le cadre du CJP se limitent à certaines professions libérales et à des entrepreneurs ayant une expérience professionnelle d’au moins cinq ans dans leur domaine. La plupart des diplômés universitaires sans expérience professionnelle ont échoué. On a reproché aux banques de ne pas avoir assuré d’accompagnement. Sont-elles capables de le faire? Ont-elles les ressources humaines pour ces missions? On oublie souvent qu’au Maroc, le système bancaire est presque exclusivement composé de banques de détail. Elles ne savent que prêter de l’argent.
Le programme Forsa a pris en considération la dimension d'un accompagnement, il prévoit des cellules hors système bancaire pour accomplir cette mission. Peut-il mobiliser suffisamment d’expertise pour répondre à une demande en quantité (40.000 demandes), alléchée par des conditions d’accès aux crédits faciles? Il est permis d’en douter.
Les expériences qui ont réussi dans d’autres pays ont rempli les conditions suivantes:
-le promoteur doit justifier d’un minimum d’expérience dans son domaine, ayant exercé dans l’entreprise familiale ou en tant que salarié;
- l’activité doit s’inscrire dans une dynamique de valorisation d’un produit (agricole, artisanal par exemple), de valorisation d’un territoire (tourisme) ou s’intégrer dans un petit écosystème agricole, industriel, de services ayant une locomotive qui assure la demande.
En dehors de ce schéma, on va vers l’aventure.
La TPE et même la PME ne peuvent assurer leur survie qu’en étant intégrées dans une dynamique territoriale ou sectorielle. Elles doivent se mouvoir dans un environnement réseauté, économique, juridique, administratif et formateur accueillant. L’Italie est un bon exemple de réussite de cette approche.
Les adeptes du keynésianisme ou les économistes néolibéraux proposent aujourd’hui des politiques très élaborées et détaillées capables d’assurer une croissance élevée à travers une utilisation optimale des moyens disponibles. Il nous appartient de faire bon usage de leurs travaux.