Le stade et l’école

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueBientôt on votera. Que ceux qui se présentent en réclamant vos voix soient des hommes et des femmes irréprochables, des personnes de qualité, patriotes, et décidées à œuvrer pour faire de ce Maroc émergent une réalité solide et fière. Priorité à l’intérêt national. On n’est pas élu pour favoriser ses propres affaires. Servir le pays et s’abstenir de se servir.

Le 20/10/2025 à 10h54

Le stade ou l’école? Le stade ou l’hôpital? le stade ou la justice? Ce sont des idées qui ont circulé ces derniers temps lors des manifestations des jeunes de la Génération Z. Les médias, pas seulement du Maroc, ont repris ces slogans. Cela rappelle les réactions populistes au moment de l’introduction au Maroc du train à grande vitesse, Al-Boraq. Depuis, la majorité des citoyens est heureuse d’aller de Casa à Tanger en 2h10.

Moi, tout bêtement, je réponds: les deux. Le stade et l’école…

Voyez ce qui se passe depuis quelques années avec le football. Les équipes du Maroc sont passées d’un rang médiocre à une présence d’excellence au niveau international. La victoire des Lionceaux en finale de la Coupe du monde des moins de 20 ans contre l’Argentine atteste cette qualité reconnue aux Marocains.

Ce n’est pas arrivé tout seul. Il y a eu une prise de conscience, du travail acharné, des préparations de haute exigence. Bref, des victoires, ça se fabrique. Il suffit de la volonté, de l’effort et le besoin de vaincre. On bouscule les mentalités et on se met sérieusement au travail.

Cette volonté, on pourrait la mettre au service des secteurs qui souffrent comme la santé, l’éducation, le civisme et la moralisation du politique.

Si on a pu construire des stades d’une qualité exceptionnelle en vue de la Coupe du monde de 2030, on pourrait mettre ces capacités au service d’une école et d’une pédagogie d’un bon niveau. Il en serait de même pour l’hôpital. Car ce n’est pas une question de moyens. Le budget de l’éducation nationale est l’un des plus importants. L’hôpital public est équipé de matériels de grande valeur, mais, paraît-il des machines, des appareils de haute précision, valant très cher, disparaissent.

Le problème concerne les mentalités.

Il y a quelques décennies, on avait appris que le ministre de la Santé de l’époque, détournait le matériel de l’hôpital et l’installait dans sa clinique. Tout le monde le savait, mais à l’époque, (c’était au siècle dernier), la presse n’osait pas aborder ces questions délicates.

Je me souviens avoir proposé à un journal de faire une enquête approfondie sur les pratiques de ce ministre-médecin. Un voleur. Une de ses connaissances m’avait vivement déconseillé de faire éclater un scandale, d’autant plus que le ministre en question appartenait à un parti politique que le pouvoir de l’époque ménageait. Cet ami m’avait dit: «un accident de voiture est vite arrivé, alors oublie, oublie ton enquête et prie pour que le Maroc soit un jour débarrassé de cette race de prédateurs, de pilleurs et de corrompus.»

«Un élu, un gouverneur, un haut fonctionnaire ont détourné l’argent de l’État pour satisfaire la rapacité qui gouverne leur esprit. On apprend qu’ils ont été condamnés et végètent en prison. Ça devrait faire réfléchir ceux que rien n’arrête»

—  Tahar Ben Jelloun

Le ministre en question n’est plus de ce monde. On raconte qu’il avait fait le pèlerinage à la Mecque pour laver ses péchés. À son retour, (justice divine) un cancer fulgurant l’emporta.

Quant à la presse d’aujourd’hui, elle est décomplexée; elle est à l’affût de ce genre de pratiques qu’elle dénonce vigoureusement.

Mais alors pourquoi ça continue? Pourquoi le vol et la corruption pourrissent la vie de notre si beau pays? La presse, dans l’ensemble, fait son travail. Ainsi on apprend qu’un élu, un gouverneur, un haut fonctionnaire ont détourné l’argent de l’État pour satisfaire la rapacité qui gouverne leur esprit. On apprend qu’ils ont été condamnés et végètent en prison. Ça devrait faire réfléchir ceux que rien n’arrête et continuent avec malice et arrogance à piller le pays. Pas du tout. Comme dirait Michel Audiard, «les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît». Les salauds aussi.

Je reviens à mon obsession: une éducation de qualité est le seul moyen pour éradiquer, sur le long terme, la corruption, le vol et l’incivisme.

On pourrait imaginer des cours du soir pour rappeler aux citoyens adultes les valeurs fondamentales de notre société. Un stage, une sorte de cure de désintoxication, une hypnose pour lutter contre la tentation malsaine.

La prison, c’est comme la peine de mort, elle n’est pas dissuasive. Ceux qui méprisent la loi et le droit, s’arrangent toujours pour s’en sortir. Et la vie continue comme si c’était une fatalité.

Laissons la fatalité aux paresseux qui ne font pas l’effort de regarder le mal en face et de le dénoncer.

Une mobilisation générale devrait être décrétée en vue de sauver notre société de tout ce qui la bousille et l’affecte durablement. Que chacun de nous fasse son examen de conscience et participe à ce nettoyage du pays. Tout citoyen a le droit d’être soigné correctement, sans qu’on profite de sa faiblesse et de ses pauvres moyens. Tout citoyen a le droit et le devoir d’éduquer ses enfants, suivant nos règles de vie, notre morale et nos valeurs ancestrales. La lutte contre la déscolarisation devrait être permanente et prise au sérieux. Un enfant qui abandonne l’école, c’est un futur chômeur, un possible délinquant.

Tout citoyen mis en demeure de corrompre pour être servi, devrait refuser de se soumettre en dénonçant l’individu lui réclamant de l’argent pour que son affaire soit traitée.

La lutte est la lutte de chacun. La démocratie commence à la maison. Nous sommes tous concernés. Nous n’attendrons pas que les choses soient réglées par une baguette magique. Etre marocain, vivre dans le plus beau pays du monde, exige une participation à l’hygiène morale et politique.

Bientôt on votera. Que ceux qui se présentent en réclamant vos voix soient des hommes et des femmes irréprochables, des personnes de qualité, patriotes, et décidées à œuvrer pour faire de ce Maroc émergent une réalité solide et fière. Priorité à l’intérêt national. On n’est pas élu pour favoriser ses propres affaires. Servir le pays et s’abstenir de se servir.

Y en a marre de la pourriture, du mensonge, de l’hypocrisie, de la parole non respectée.

Y en a marre des arnaques dont sont victimes principalement les plus démunis.

Y en a marre du laisser-aller, de la négligence et des coups portés à l’État de droit.

Y en a marre du favoritisme, du népotisme et du manque de sérieux.

On va me reprocher de prêcher, de faire de la morale. Oui, nous avons tous besoin de vaincre les mauvaises habitudes, les plis qui sentent mauvais. Que chacun fasse son travail et laisse la fatalité en paix. Il en va de l’avenir de notre pays, une nation fière et respectée, une patrie qui mérite qu’on lui offre le meilleur de nous-mêmes.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 20/10/2025 à 10h54