Le Maroc a profondément transformé sa stratégie diplomatique au cours des dernières années, en redéfinissant ses alliances traditionnelles, en diversifiant ses partenariats, et en affirmant sa souveraineté sur le Sahara comme pivot de sa politique étrangère. De ses relations fluctuantes avec la France à son ancrage croissant en Afrique et au Moyen-Orient, Rabat affiche aujourd’hui une posture plus affirmée sur la scène internationale.
Un repositionnement franco-marocain dicté par de nouveaux équilibres
Pendant longtemps, le lien franco-marocain reposait sur des relations historiques, souvent teintées de post-colonialisme. Mais un tournant s’est opéré. Le 13 janvier 2025, lors d’un débat sur France 24 intitulé «France-Algérie: vers la rupture?», le journaliste Antoine Glaser a pointé un changement d’attitude de Paris. Selon lui, le président Emmanuel Macron aurait été poussé à reconsidérer la position de la France sur le Sahara marocain sous la pression du réalisme géopolitique: Madrid et Berlin ayant reconnu la souveraineté du Maroc, Paris risquait l’isolement économique et diplomatique.
Ce changement s’explique aussi par l’effondrement de l’influence française au Sahel et la dégradation des relations entre Alger et les pays de cette région. La France s’est tournée vers Rabat pour regagner du terrain, face à une Algérie de moins en moins coopérative et moins influente. Le Sahara, longtemps perçu comme une question bilatérale entre le Maroc et l’Algérie, est désormais identifié comme l’épicentre stratégique d’un nouvel ordre régional. Glaser lui-même résumait: «L’éléphant dans la pièce, c’est le Sahara».
Macron à Rabat: un tournant historique
Le changement de ton s’est concrétisé en octobre 2024, lorsque Emmanuel Macron, en visite d’État à Rabat, a affirmé devant le Parlement marocain: «Pour la France, le présent et l’avenir du Sahara relèvent de la souveraineté du Maroc». Ce discours, applaudi par les députés marocains, a marqué une rupture nette avec les ambiguïtés passées. Il confirmait déjà les termes de sa lettre envoyée au roi Mohammed VI le 30 juillet 2024.
Au-delà du symbole, la France a promis du concret: des investissements massifs, des partenariats économiques et un appui explicite au plan d’autonomie marocain dans les instances internationales. Les accords signés s’élèvent à 10 milliards d’euros, illustrant le repositionnement du Maroc comme acteur économique majeur en Afrique.
Diversification stratégique: Washington, Tel-Aviv, Pékin et Moscou
La diplomatie marocaine ne s’arrête pas au renforcement des liens avec la France. Le Royaume poursuit une stratégie de diversification inédite, s’appuyant sur de nouveaux alliés. Le soutien américain à la souveraineté du Maroc sur le Sahara, officialisé en décembre 2020, reste un jalon crucial. Dans la foulée, Rabat a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël, misant sur la coopération militaire, technologique et agricole avec l’État hébreu.
La Chine et la Russie sont également devenues des partenaires de poids. Le Maroc s’inscrit dans la dynamique des Nouvelles Routes de la Soie, tout en entretenant des liens réguliers avec Moscou depuis la visite royale en 2016. Cette orientation traduit la volonté de Rabat de parler avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, condition essentielle pour faire progresser la reconnaissance internationale de sa souveraineté sur le Sahara.
Leadership maghrébin et ancrage africain
Sur le continent africain, le Maroc assume désormais un rôle de leader. Il a su s’imposer comme médiateur dans la crise libyenne, engageant le dialogue entre les factions rivales et contribuant à la conclusion d’un cessez-le-feu. Dans le sillage de cette diplomatie active, le Royaume a consolidé sa présence économique en Afrique subsaharienne, notamment via les secteurs bancaire, télécoms et énergétique.
Un exemple phare de cette transformation est le projet de gazoduc Nigeria-Maroc, qui traversera une dizaine de pays d’Afrique de l’Ouest avant de rejoindre l’Europe. Ce projet géostratégique symbolise le renversement des équilibres énergétiques et économiques au profit du Maroc. Un autre exemple notable est l’initiative atlantique de Sa Majesté le roi Mohammed VI, qui propose une route commerciale directe vers les ports marocains, en particulier le port de Dakhla au Sahara.
Transformation économique et ambition continentale
En parallèle, l’économie marocaine s’est profondément modernisée. Casablanca est désormais décrite comme «le Wall Street africain» par Le Figaro (janvier 2025), attirant multinationales et institutions financières. Le développement des infrastructures – ports, TGV, énergies renouvelables – positionne le Maroc comme un hub logistique incontournable entre l’Europe et l’Afrique.
Le Royaume ne se contente plus d’être un relais du Nord vers le Sud: il est devenu une puissance économique autonome, avec une stratégie d’intégration régionale assumée.
Soft power et rayonnement culturel
Le Maroc mise aussi sur son soft power, via la culture, le sport et la diaspora. La performance historique des Lions de l’Atlas au Mondial 2022 (demi-finale) a renforcé l’image du pays dans le monde. Coorganisateur de la Coupe du monde 2030 avec l’Espagne et le Portugal, le Royaume inscrit son influence dans la durée.
Sur le plan culturel, le Maroc défend son patrimoine immatériel à l’UNESCO, appuyé par des figures influentes comme Audrey Azoulay, directrice générale de l’organisation et fille du conseiller royal André Azoulay. La diaspora marocaine, notamment juive, joue un rôle croissant dans les relations internationales du pays, en facilitant les échanges avec Israël, la France et les États-Unis.
Un Maroc en pleine redéfinition géopolitique
À l’heure des grands bouleversements géopolitiques, le Maroc s’impose comme une puissance régionale audacieuse, affirmant ses intérêts sans renier ses alliances traditionnelles, mais en les reconfigurant à son avantage. En plaçant le Sahara au cœur de sa diplomatie, en diversifiant ses partenaires et en renforçant son poids économique et culturel, le Royaume trace une voie originale et ambitieuse dans un monde en mutation.







