Par sa position géographique, ses frontières communes avec six États, sa mosaïque ethnique et ses fondamentaux religieux, le Cameroun est un État clé de la stabilité ouest-africaine. Pris entre le conflit du Nigeria et celui de Centrafrique, le pays est profondément divisé entre nordistes et sudistes, entre chrétiens et musulmans, entre francophones et anglophones.
De 1960, année de son indépendance, à aujourd’hui, c’est-à-dire en 64 ans, le Cameroun n’a connu que deux présidents. Or, âgé de 91 ans, Paul Biya arrive peu-à-peu au terme de son horloge biologique, ce qui va automatiquement poser un problème de succession dans un pays où les oppositions ethniques sont puissantes.
Au Cameroun comme au Nigeria voisin, la vie politique dépend d’un accord tacite de partage des pouvoirs entre les grandes régions. L’actuel président étant un francophone chrétien originaire du grand Sud, le parlement doit être dirigé par un musulman issu du grand Nord, cependant que le Premier ministre doit être un anglophone natif de l’Ouest. Or, cette alchimie ethno-régionale est de plus en plus contestée. D’autant plus que l’approche des élections présidentielles de 2025 porte en germe bien des incertitudes.
En 2025, le Cameroun va en effet connaître quatre élections (présidentielle, sénatoriale, législative et municipale), à l’occasion desquelles bien des tensions ou même des conflits en sommeil risquent de se réveiller. Les provinces anglophones de l’ouest naviguent ainsi entre séparatisme et lutte armée, au nord, le fondamentalisme islamiste menace de faire éclater les hiérarchies politico-religieuses traditionnelles, cependant que la contagion centrafricaine déstabilise une partie du grand Est.
Autre problème, au Cameroun comme quasiment partout ailleurs en Afrique au sud du Sahara, chaque élection voit l’exaltation des identités ethniques. Cela fait que chaque scrutin déconstruit la fiction nationale.
Au Cameroun, l’article 3 de la Constitution du 2 juin 1972, ainsi que la loi 96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, de même que la loi 90-056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques, proscrivent leur dimension ethno-communautaire. Or, dans la réalité, la vie politique camerounaise peut être résumée à un champ clos dans lequel s’affrontent les leaders politiques des différentes ethnies. Les partis étant d’abord ethniques, leurs homelands constituent leurs fiefs électoraux. D’autant plus que la Constitution de 1996 a introduit la notion d’«autochtonie», sorte de variante locale de ce qu’a connu la Côte d’Ivoire avec le concept d’«Ivoirité».
À travers le foisonnement de presque 200 partis, dominent en réalité une poignée d’entre eux, tous ethno-centrés, à savoir:
- Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), nouvelle appellation de l’ancienne Union nationale, est le parti présidentiel à la tête du Cameroun depuis l’indépendance. C’est un parti béti dont le homeland est situé dans les provinces du Centre, du Sud et de l’Est, là où vivent les Pahouin-Fang-Béti, dont les principales subdivisions sont les Bulu, les Ewonde et les Eton.
- Le Social Democratic Front (SDF), fondé en 1991, est le parti des anglophones de la province de l’Ouest. Il rallie les suffrages des ethnies Bamoun, Tikar, Nyokon, Bangangte, Bandjoum, Bali, Bafang, Dschang, Ngomba, Babaju, Mengaka et Bamenyam, etc. Il est profondément hostile au président Biya.
- L’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) est le parti des Peul et il est donc dominant dans la province du Nord et dans l’Adamaoua, zones de peuplement peul.
- L’Union des populations du Cameroun (UPC) est un vieux parti révolutionnaire fondé en 1948 et légalisé en 1991. C’est le parti de l’ethnie bassa, dont le fief est situé dans les départements du Nyong-et-Kellé et de la Sanaga maritime.
- Le Mouvement pour la défense de la République (MDR), est un parti Kirdi dominant donc dans une partie de la province de l’Extrême-Nord, où il rallie les votes des ethnies Massa, Moundang, Toupouri, Mousgoum, Guiziga, Guidar, Fali, Maya, etc.
- Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) qui a été fondé en 2013 par Maurice Kamto est, quoiqu’il en dise, un parti bamiléké.
Le jeu interne à ces partis est au cœur de la vie politique camerounaise.
L’Église est également profondément tribalisée comme l’a montré au mois d’août 1999 la contestation de l’intronisation du nouvel archevêque de Yaoundé, un Bamiléké, refusée par les Ewon, sous-groupe Béti. Les catholiques représentent 39% de la population, les protestants 26%, les chrétiens évangélistes 4%, les musulmans 21% et les animistes 6%.