L’autre 20 Août, qu’on ne fête pas…

Fouad Laroui.

ChroniqueEn l’absence d’un sentiment national affirmé en Algérie, à l’époque, il était nécessaire de mobiliser les gens en tant que musulmans. Et le bannissement d’un amir al-mouminine par des non-musulmans était effectivement inacceptable.

Le 27/08/2025 à 11h01

Les trois premiers paragraphes qui ouvrent ce billet rappellent des choses que tout le monde sait -ou devrait savoir. Je vous prie d’excuser ces redites. À partir du quatrième paragraphe apparaît en revanche quelque chose d’insolite et que beaucoup de gens ignorent -et c’est tout l’objet de mon propos.

Chaque année, le 20 Août, le Maroc commémore la Révolution du Roi et du Peuple. Nous venons de le faire. Le sultan Mohamed Ben Youssef, (dont le titre officiel deviendra Mohammed V, roi du Maroc, en 1957), fut destitué et exilé le 20 août 1953 par les autorités françaises, à la suite d’un complot impliquant Alphonse Juin -qui était Résident général de France au Maroc depuis 1947- et le pacha El Glaoui. Après un bref passage en Corse, le sultan fut exilé à Madagascar, avant d’être rétabli sur le trône en novembre 1955 et de mener son pays à l’indépendance en 1956.

Les autorités françaises n’avaient pas «digéré» la présentation au sultan, avec son accord, d’un Manifeste de l’Indépendance signé par soixante-six nationalistes, le 11 janvier 1944. Lorsque ce même sultan prononça à Tanger, le 10 avril 1947, le fameux discours dans lequel il réaffirmait la souveraineté du Maroc (incluant ses droits sur Tanger) et son unité symbolisée par la couronne, la coupe était pleine. Cette convergence entre le Roi et le peuple était inacceptable pour le «parti colonial» qui s’agitait à Paris pour continuer à exercer sa mainmise sur le Maroc. D’où la décision inique de démettre et d’exiler le sultan le 20 août.

Tout cela est connu, mais il se trouve qu’on commémore autre chose à cette date-là, chaque année -et ça, on le sait moins.

Le 20 août 1955, dans le Constantinois algérien, le FLN (Front de libération nationale) organisa de violentes manifestations en prenant pour prétexte… le deuxième anniversaire de la déposition du sultan du Maroc! Le FLN exigeait le retour d’exil de Mohamed Ben Youssef -il reviendra effectivement quelques mois plus tard, le 16 novembre 1955.

«En disant que le 20 Août devrait être fêté ensemble (ce serait émouvant…) par les Marocains et les Algériens, je suis peut-être un peu trop naïf. Enseigne-t-on seulement ce qui précède chez nos voisins? Les documents existent pourtant, qui prouvent que le FLN algérien organisa les manifestations de Philippeville pour dénoncer la déposition du sultan du Maroc. Quelques années plus tard, l’Algérie était indépendante…»

—  Fouad Laroui

La raison de cet appel est facile à comprendre. En l’absence d’un sentiment national affirmé en Algérie, à l’époque, il était nécessaire de mobiliser les gens en tant que musulmans. Et le bannissement d’un amir al-mouminine par des non-musulmans était effectivement inacceptable.

Répondant à l’appel du FLN, des émeutiers parcoururent les rues de Philippeville (l’actuelle Skikda) en s’attaquant aux colons européens: plusieurs dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants furent tués. Les représailles ne tardèrent pas: le lendemain, des colons et des militaires firent la chasse aux «musulmans», faisant plusieurs centaines de victimes au hasard des rencontres dans les rues.

Lorsque la nouvelle des massacres du Constantinois se répandit, de nombreux musulmans modérés, jusque-là peu sensibles aux thèses indépendantistes, prirent fait et cause pour le FLN. Ce fut là le véritable début de la guerre d’Algérie: dès le 23 août 1955, le gouvernement français enclencha l’engrenage en décidant de rappeler un demi-contingent d’appelés (qui avaient été libérés quelques mois plus tôt) et de maintenir sous les drapeaux le contingent de 1954.

On voit donc que le 20 Août devrait être fêté conjointement par les Marocains et les Algériens: cette date marque l’ébranlement du Protectorat au Maroc et l’entame du processus qui allait mener à l’indépendance de l’Algérie en 1962. Et -voici ce qui nous unit- le même évènement en fut le point de départ: l’exil du sultan Mohamed Ben Youssef.

En disant que le 20 Août devrait être fêté ensemble (ce serait émouvant…) par les Marocains et les Algériens, je suis peut-être un peu trop naïf. Enseigne-t-on seulement ce qui précède chez nos voisins? Les documents existent pourtant, qui prouvent que le FLN algérien organisa les manifestations de Philippeville pour dénoncer la déposition du sultan du Maroc. Quelques années plus tard, l’Algérie était indépendante…

Un jour, peut-être, la raison reprendra ses droits et le 20 Août sera fêté des deux côtés de cette frontière obstinément fermée et qui serait rouverte pour l’occasion.

Il n’est pas interdit de rêver.

Par Fouad Laroui
Le 27/08/2025 à 11h01