L’Algérie est-elle dirigée depuis El Mouradia ou depuis Tindouf?

Bernard Lugan.

ChroniqueLors de la réunion de Tindouf, la Turquie fut accusée de crimes de guerre et de diverses exactions. De quoi susciter l’indignation de l’opinion turque qui découvrit l’évènement à travers les images transmises par la presse, montrant des militants de l’indépendance du Kurdistan posant auprès de membres du Polisario. Ressentie comme une provocation à Ankara, cette réunion provoqua la colère du monde politique turc.

Le 21/01/2025 à 10h58

Il se passe décidément de singuliers évènements à Tindouf, ville marocaine que la France offrit à l’Algérie en 1962. Dans cette «capitale» autoproclamée de la pseudo-RASD, du 4 au 7 janvier, le Polisario a en effet invité à un «Sommet de solidarité sahraouie» une délégation du mouvement kurde Unité de protection du peuple (YPG). Or, le YPG est la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD), aile syrienne du PKK turc. Or encore, ce mouvement est considéré comme terroriste par la Turquie, et il est également classé comme tel par les États-Unis et par l’Union européenne.

Lors de la réunion de Tindouf, la Turquie fut accusée de crimes de guerre et de diverses exactions, provoquant l’indignation de l’opinion turque qui découvrit l’évènement à travers les images transmises par la presse montrant des militants de l’indépendance du Kurdistan posant auprès de membres du Polisario, brandissant drapeaux kurdes et banderoles réclamant l’indépendance tant du Rojava, le Kurdistan syrien, que du Kurdistan turc.

Ressentie comme une provocation à Ankara, cette réunion provoqua la colère du monde politique turc, résumée de manière cinglante par le député Bahadır Nahit Yenişehirlioğlu du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir:

«Nous avons vu récemment l’arrivée d’éléments terroristes séparatistes kurdes en Algérie que nous pensions être un pays ami, l’Algérie que nous avions tant nourrie et protégée, l’Algérie, qui était il n’y a pas si longtemps une province sous la protection du Sultan ottoman. Or, aujourd’hui, elle reçoit une bande de terroristes kurdes sur son territoire. Je ressens désormais que l’Empire ottoman a fait une erreur, oui il a fait une erreur quand il a vendu la province turque (Sandjak) d’Algérie à la France. L’Algérie sait que sans nos ancêtres turcs et sans le grand chef Barberousse (Kheïr-Eddine Baba Arroudi, régent d’Alger sous le règne de Soliman le Magnifique), les habitants d’Algérie resteraient encore des esclaves des Espagnols comme Barberousse le Grand les a trouvés».

«Le Polisario mènerait une politique contraire aux intérêts fondamentaux de l’Algérie, ce qui pourrait indiquer que, désormais, l’Algérie n’est plus dirigée depuis El Mouradia, mais depuis Tindouf.»

Historiquement, le député Bahadır Nahit Yenişehirlioğlu n’a pas tort. En effet, en 1515, les Algérois firent appel aux frères Barberousse pour qu’ils les débarrassent de la garnison espagnole installée sur l’îlot du Penon qui prenait Alger sous les feux de son artillerie. Le sultan Sélim 1er, Soliman le Magnifique (1512-1520), envoya 2.000 janissaires et 4.000 soldats réguliers et, en 1519, grâce à ce contingent, Kheïr-Eddine Barberousse chassa les Espagnols d’Alger. Débuta alors la colonisation ottomane de l’Algérie qui dura jusqu’à la conquête française de 1830.

Alors, comment expliquer la bévue d’Alger? Deux hypothèses se présentent:

1- Compromis avec Bachar El-Assad, le régime algérien a tenté un «rapprochement» avec les nouvelles autorités syriennes, en proposant d’envoyer à Damas le ministre algérien des Affaires étrangères. Or, le nouvel homme fort de la Syrie, Ahmed Al-Charaa, aurait refusé de le recevoir. Dans ces conditions, l’invitation à Tindouf du YPG/PKK serait la réponse d’Alger. Car, même si l’ambassadeur algérien à Ankara, Amar Belani, a, dans un communiqué officiel, dénoncé des accusations «fantaisistes» et «totalement infondées», la réalité est celle des visas sans lesquels on ne pénètre pas en Algérie et qui ont bien été délivrés aux militants kurdes… Quoiqu’il en soit, si cette explication est la bonne, elle traduirait une fois de plus l’amateurisme de la diplomatie algérienne qui accumule les déconvenues depuis plusieurs années.

2- Autre explication, et comme je l’ai montré dans une précédente chronique consacrée aux passe-droits dont bénéficie le Polisario en Algérie, ce mouvement étant désormais enkysté à tous les niveaux de l’État algérien, il peut donc se permettre de mener sa propre politique. Une politique contraire aux intérêts fondamentaux de l’Algérie, ce qui pourrait indiquer que, désormais, l’Algérie n’est plus dirigée depuis El Mouradia, mais depuis Tindouf.

Par Bernard Lugan
Le 21/01/2025 à 10h58