La leçon de mobilisation citoyenne de Mohamed Reda Taoujni, le lanceur d’alerte sur le scandale de l’hôpital Hassan II d’Agadir

Façade de l'hôpital Hassan II d'Agadir. En médaillon, Mohamed Reda Taoujni.

La façade de l'hôpital Hassan II d'Agadir et Mohamed Reda Taoujni.

Le 18/09/2025 à 15h32

VidéoC’est lui qui a mis le feu aux poudres. Mohamed Reda Taoujni, militant associatif et youtubeur très suivi à Agadir, est à l’origine de la révélation du scandale sanitaire qui secoue l’hôpital régional Hassan II. L’écho est tel que la tutelle a réagi. Mais pour ce lanceur d’alerte, l’affaire dépasse le seul hôpital. Entretien.

À Agadir, Mohamed Reda Taoujni est une véritable star. Militant associatif, youtubeur et très actif sur les réseaux sociaux, il ne cesse depuis des années de dénoncer les dysfonctionnements, nombreux, qui entravent le développement de la capitale du Souss. Et c’est par lui que le scandale de l’hôpital Hassan II de la ville est arrivé. Ses appels à une intervention de la tutelle n’ayant eu pour réponse qu’une grande indifférence, Mohammed Reda Taoujni a organisé et encadré deux sit-in de protestation. Le premier, organisé il y a trois semaines, a eu peu d’échos. Mais le second était le bon.

Ils étaient plusieurs centaines d’habitants à se rassembler devant l’hôpital régional pour dénoncer une structure devenue un mouroir. Le déclencheur n’était d’ailleurs autre que le décès, au cours du mois d’août et en l’espace d’une semaine, de huit femmes en travail d’accouchement au sein même du service maternité de cet établissement, un concentré de toutes les failles du système public de santé. Ceci, pendant que le chef du gouvernement, par ailleurs maire d’Agadir, s’auto-congratulait sur le bilan «exceptionnel» de son exécutif lors d’un entretien télévisé sur Al Oula et 2M. La manifestation a eu un écho national et l’étendue du scandale a été telle que le ministre de la Santé s’est rendu sur les lieux, limogeant des responsables régionaux de son département, débloquant matériel et financement et promettant de remédier au plus vite à la situation.

C’est tout sauf assez pour Mohamed Reda Taoujni. Dans un entretien avec Le360, il revient sur les dysfonctionnements graves ayant conduit à plusieurs décès de patients, notamment liés à la négligence et à l’absence d’équipements de base. «Depuis sept ans, je dénonce la situation catastrophique de ce centre hospitalier, mais rien n’a changé. Aujourd’hui, huit femmes ont perdu la vie. Une adolescente de 14 ans est morte, et d’autres victimes s’ajoutent à cette liste noire. C’est intolérable», affirme Taoujni.

Selon lui, des médecins confient que les produits anesthésiants utilisés perdent de leur efficacité à cause de conditions de conservation non conformes. «Quand l’anesthésie ne fait pas effet, les médecins doublent la dose, et la patiente finit en réanimation… avant de mourir. Voilà la réalité de notre hôpital régional», déplore-t-il.

Une victoire de la mobilisation citoyenne

À ces problèmes médicaux s’ajoute la pénurie chronique de matériel de base. «Un service des urgences sans Bétadine, sans masques à oxygène conformes, où les patients doivent acheter eux-mêmes les pansements, les médicaments, parfois même les analyses… Comment peut-on accepter une telle situation dans un hôpital public?», s’indigne le militant.

Face à la pression citoyenne et au tollé suscité par la mort de plusieurs patients, le ministère de la Santé a fini par réagir. Une visite ministérielle a été organisée à l’hôpital Hassan II d’Agadir, débouchant sur une série de décisions immédiates: suspension et remplacement de plusieurs responsables, allocation d’un budget de 200 millions de dirhams pour renforcer les équipements, livraison de nouveaux appareils dont un scanner et du matériel de laboratoire, ainsi que la réhabilitation de certains services critiques comme les urgences et la réanimation. «C’est un pas important, une victoire de la mobilisation citoyenne, mais il ne faut pas croire que la situation va s’améliorer du jour au lendemain. C’est tout le système hospitalier régional qui est en faillite», a commenté Reda Taoujni.

Au-delà du scandale sanitaire, Taoujni s’en prend directement à Aziz Akhannouch, maire d’Agadir et chef du gouvernement, qu’il accuse d’avoir transformé la ville en «carte postale politique» sans véritable gestion locale.

«Les grands chantiers urbains ont été confiés à des entreprises proches du RNI, les travaux sont bâclés et les retombées pour les habitants sont inexistantes», détaille-t-il. Il dénonce également une fracture sociale et urbaine. «Agadir, c’est aujourd’hui deux visages: la façade maritime embellie, les avenues principales rénovées en vue des prochaines échéances sportives… mais dès qu’on sort du centre, on tombe sur des quartiers sans éclairage, sans voirie, sans espaces verts», dénonce le militant.

Agadir, une ville à deux vitesses

Pour Taoujni, les problèmes de la capitale du Souss dépassent la seule question sanitaire. Il pointe du doigt un déficit global en infrastructures et en services publics. «Imaginez une ville de la taille d’Agadir avec un seul centre de protection civile, alors qu’on a construit des quartiers de 80.000 à 100.000 habitants sans prévoir de caserne de pompiers. C’est aberrant», déplore le lanceur d’alerte. «Les équipements culturels, comme le conservatoire ou la maison des arts, sont achevés mais restent fermés. Le grand théâtre avance au ralenti. On attend l’approche des élections pour les inaugurer. C’est une instrumentalisation de la culture», ajoute-t-il. Même les maisons de jeunes, les équipements sociaux, les terrains de proximité… «tout est fermé ou inexistant. À Bensergaou, une commune de 100.000 habitants, il n’y a même pas un seul jardin public, pas un réseau d’assainissement».

Pour lui, ce délaissement alimente un profond sentiment d’abandon parmi les habitants. «Le citoyen d’Agadir ne se reconnaît plus dans ses élus. Les partis politiques ont déserté la scène locale, les associations manquent de soutien, et la ville se vide de son âme».

Mohamed Reda Taoujni refuse d’être catalogué comme opposant politique. «Je ne suis pas militant de parti, je ne suis pas journaliste, je suis juste un citoyen marocain qui rêve d’un Maroc meilleur. Mon arme, ce sont mes vidéos et mes interventions pour dénoncer ce qui ne va pas». Son combat trouve un écho grandissant dans une ville où les promesses d’un nouveau souffle tardent à se concrétiser.

Par Tarik Qattab et Khalil Essalak
Le 18/09/2025 à 15h32