La Corne de l’Afrique est un monde dans lequel les crises qui sont emboîtées menacent constamment de s’étendre à toute la sous-région.
Le Soudan du Sud n’est pas parvenu à dépasser l’opposition entre Dinka et Nuer, qui se livrent une interminable et sanglante guerre civile. Cette dernière ne doit cependant pas faire oublier que le contentieux territorial et pétrolier entre les deux Soudan n’a pas été réglé et que la guerre entre les deux États peut donc reprendre à tout moment.
Le Soudan du Nord, qui a vu l’armée demeurer maîtresse du jeu après avoir réussi à écraser une contestation populaire, traverse actuellement une terrible guerre civile qui menace de s’étendre aux pays voisins.
Comme je l’ai montré dans une précédente chronique, la guerre civile qui a éclaté au Soudan le 15 avril 2023 ne se résume pas à une rivalité entre le numéro deux du régime, Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), et l’armée régulière fidèle au général Abdel Fattah al-Burhane. En réalité, l’actuelle guerre civile soudanaise oppose les Nubiens vivant le long du Nil, et qui constituent la colonne vertébrale du pays, aux Bédouins arabes des steppes et des déserts de l’Ouest.
Une dichotomie encore renforcée par les affiliations confrériques. Le Soudan est en effet politiquement bipolaire, car traditionnellement dominé par les chefs (Sayyid) des deux principales confréries religieuses du pays (Tariqa) qui sont la Mahdiya, d’où le Mahdisme, et la Khatmiya. Géographiquement et ethniquement, la Khatmiya, qui est plutôt nubienne, recrute essentiellement chez les populations sédentaires, quand la Mahdiya, qui est au contraire implantée chez les tribus nomades, a incarné le nationalisme soudanais ancré sur le souvenir de l’État théocratique mahdiste fondé à la fin du XIXe siècle.
Comme le Soudan a des frontières avec deux pays extrêmement fragiles et instables que sont le Tchad et la Libye, la crainte d’une déstabilisation régionale inquiète désormais ses voisins. Une déstabilisation qui pourrait réveiller plusieurs conflits dormants, dont ceux du Tchad.
La Somalie a continué à s’autodétruire à travers une succession d’attentats sanglants. Le pays, qui est en guerre depuis 1991, a cessé d’exister comme État. Tout fut pourtant tenté pour y rétablir la paix: interventions militaires directes puis indirectes des États-Unis, suivies de celles de l’ONU, de l’Éthiopie, des États africains, puis enfin du Kenya. Sur ce terreau propice se sont développés les jihadistes dont les Shabaab, soutenus à la fois par l’Érythrée, qui continue à mener sa guerre indirecte contre l’Éthiopie, et par certaines pétromonarchies. Aujourd’hui, à la faveur de la guerre civile, la Turquie a très fortement pris pied en Somalie, où elle a pris en charge la formation de l’armée gouvernementale. La Somalie étant une société à structure tribale, toute solution passe par la prise en compte de cette puissante réalité. Toute tentative d’imposition du système démocratique occidental du «One man, one vote» y est porteuse de chaos.
L’Éthiopie a renoué avec la guerre civile à la suite de la quasi-sécession du Tigré dont le pouvoir central d’Addis Abeba a triomphé durant l’année 2022, mais tous les ingrédients du conflit demeurent.