Justice: un déficit de 800 magistrats dans les tribunaux du Royaume

قضاة مغاربة (صورة تعبيرية)

Des magistrats appelés à traiter des affaires judiciaires, dans la tenue réglementaire de leur profession. . DR

Revue de presseEn 2024, les parquets marocains ont traité 497.052 plaintes et présenté 664.637 personnes devant la justice, tout en fonctionnant avec seulement 1.223 procureurs, soit un déficit de près de 800 magistrats. Cet article est une revue de presse tirée du quotidien Al Ahdath Al Maghribia.

Le 25/12/2025 à 19h18

Entre l’élargissement des compétences et la demande sociale croissante de justice, le manque de personnel demeure l’un des principaux défis structurels auxquels font face les parquets. Pour répondre à cette pression, l’institution a misé sur la moralisation de la pratique judiciaire et la rationalisation du pouvoir répressif, en réduisant de manière inédite le taux de détention provisoire et en renforçant les mécanismes de probité ainsi que la surveillance des droits dans les lieux de privation de liberté. C’est ce double pari que le procureur général, Hicham Blaoui, a présenté hier à Rabat dans le cadre du rapport annuel 2024 sur l’activité des parquets. Ce choix soulève une question centrale, s’interroge le quotidien Al Ahdath Al Maghribia dans son édition de ce vendredi 26 décembre: dans quelle mesure la logique de moralisation peut-elle compenser le déficit de personnel tout en préservant la qualité de la justice et les droits des justiciables?

Le rapport annuel fait apparaître un déficit structurel majeur. Près de 800 postes de procureurs restent vacants, alors que le système judiciaire connaît une expansion continue de ses compétences, une augmentation constante du nombre de dossiers et des attentes accrues en matière d’efficacité et de garanties des droits. Ce déséquilibre soulève des interrogations objectives sur les limites de la performance possible face à cette pression, sans occulter pour autant les indicateurs positifs relevés par le rapport.

En termes quantitatifs, le rapport indique que le nombre total de procureurs en fonction au sein des tribunaux du Royaume s’élève à 1.223, soit une progression de 12,5% par rapport à 2023. Ces magistrats exercent à la Cour de cassation, dans les Cours d’appel, les tribunaux de première instance ainsi que les tribunaux de commerce. Malgré cette hausse, le déficit de 800 procureurs signifie que le système fonctionne avec moins des deux tiers de ses effectifs théoriques. Ce déséquilibre est encore plus net lorsqu’on considère le ratio démographique: le Maroc compte en moyenne trois procureurs pour 100.000 habitants, contre plus de 11 en Europe, un écart structurel qui reflète l’évolution de la demande de justice et l’élargissement des fonctions du parquet.

Malgré cette pression professionnelle, les parquets ont affiché des performances remarquables en 2024. Au total, 7,94 millions d’actes ont été accomplis, soit plus de 7.600 actes par procureur et plus de 28 actes par jour. Ces actes comprennent la gestion des plaintes et procès-verbaux, la participation aux audiences, l’exercice des voies de recours, l’exécution des jugements et le suivi des affaires concernant les catégories vulnérables, relate Al Ahdath Al Maghribia.

Le rapport relève également que 497.052 plaintes ont été traitées, dépassant le nombre de plaintes enregistrées, avec un taux de réalisation de 104%, réduisant le reliquat à 66.651 dossiers contre 82.558 en 2023. Parmi les 664.637 personnes présentées devant les parquets, 14,19% ont été placées en détention, un chiffre en baisse par rapport aux années précédentes, et la détention directe décidée par le parquet n’a pas dépassé 11,61%.

Selon le procureur général, ces chiffres traduisent la capacité institutionnelle des parquets à absorber la pression, mais révèlent également le poids considérable supporté par les magistrats, avec des défis liés au temps judiciaire et à la qualité du suivi individuel des dossiers, particulièrement pour les affaires sociales ou complexes sur le plan des droits.

Bien que le rapport ne relie pas directement le manque de personnel à des atteintes aux droits des justiciables, certaines données montrent des conséquences indirectes, a-t-on lu dans Al Ahdath Al Maghribia. La persistance d’un reliquat de près de 66.000 plaintes et 120.000 procès-verbaux, malgré la baisse observée, illustre les limites de la capacité de traitement rapide avec les ressources actuelles. Cette pression accrue peut impacter les délais de traitement de certains dossiers ou la qualité du suivi des justiciables, expliquant l’accent mis dans le rapport sur l’amélioration des espaces d’accueil et le renforcement des ressources humaines, notamment les assistants sociaux et spécialistes.

Pour compenser ces contraintes, le rapport souligne un virage clair vers la moralisation de la justice et la rationalisation de l’usage de la force, considérées comme essentielles pour atténuer les effets du déficit structurel. En 2024, le taux de détention provisoire a atteint son plus bas niveau de la décennie, à 31,79%, avec un recours accru à des alternatives légales: 46.309 affaires ont été traitées par caution et 15.862 par conciliation, visant à limiter les mesures privatives de liberté. Parallèlement, les mécanismes de lutte contre la corruption ont été renforcés grâce à la ligne directe de dénonciation de la corruption, permettant l’interpellation de personnes en flagrant délit et l’émission de condamnations. Les parquets ont aussi intensifié le contrôle des lieux de détention et accordé une attention particulière aux plaintes pour violences et mauvais traitements: 150 plaintes pour violences et 7 pour torture ont été enregistrées, avec 379 examens médicaux effectués. Les magistrats ont réalisé plus de 22.000 visites dans les locaux de garde à vue et 1.116 visites dans les établissements pénitentiaires.

Le bilan 2024 révèle une contradiction: un système judiciaire soumis à une pression humaine importante mais capable de performances remarquables. La pérennité de ce niveau d’activité dépend toutefois de la résolution du déficit structurel, de l’accélération des réformes législatives et organisationnelles, et du renforcement des investissements dans les ressources humaines et technologiques. Le déficit de procureurs ne constitue donc pas seulement un problème, mais un indicateur du défi majeur: maintenir la qualité de la justice et garantir les droits et libertés dans un contexte de demande sociale croissante.

Ce rapport pour l’année 2024 se distingue également par plusieurs nouveautés, notamment l’intégration des alternatives à la détention comme chantier concret nécessitant préparation organisationnelle et humaine, et non simple exigence légale. Il met en évidence la nécessité de recourir aux assistants sociaux, de développer les systèmes d’information et de réorganiser certaines compétences, illustrant ainsi une approche pragmatique et institutionnalisée de la rationalisation de la justice.

Par La Rédaction
Le 25/12/2025 à 19h18